Si l’État lutte contre le développement des écoles alternatives sous divers prétextes (et il ne faut pas s’en étonner !), il est pour le moins curieux qu’elles soient aussi descendues en flammes par ceux qui militent pour une autre école, y compris par les mouvements pédagogiques.

Est-ce que parce que tout le monde n’a pas les moyens de manger bio qu’il faut jeter l’opprobre sur ceux qui le peuvent ? Est-ce que ceux qui ont les moyens de consommer autrement et font savoir pourquoi n’ont pas contribué à une prise de conscience de l’opinion publique (pourquoi eux et pas nous !) ? Est-ce que les premiers paysans qui se sont lancés et ont tâtonné dans le bio (et dont on a oublié qu’ils ont alors subi les quolibets de leurs collègues, le scepticisme des « scientifiques », la méfiance de l’opinion et les bâtons dans les roues de l’État) n’ont pas été à l’origine de la critique de l’agriculture industrielle et de profit aujourd’hui admise par tous ? Est-ce que ceux qui font et vivent les ZAD en dehors et contre le système sont considérés comme des égoïstes qui ne pensent qu’à eux, à la facilité ou à leur confort ?

Il serait peut-être temps que ceux qui se prétendent défenseurs d’une autre école publique pour une autre société (c’est peut-être moins certain quant à l’autre société) arrêtent de tirer à boulets rouges sur les écoles alternatives et celles et ceux qui les font.

Il serait peut-être temps qu’ils prennent conscience que l’école publique a toujours été l’école de l’État au service de l’État et que malgré la trempe des pionniers comme ceux du mouvement Freinet qui dans l’école publique ont voulu instiguer d’autres pratiques, une autre conception, une autre finalité, le système éducatif, son emprise et ses finalités n’ont globalement pas changé depuis son origine. Il serait peut-être temps de s’apercevoir que l’école est un des piliers principaux du maintien d’une société (maintenant mondiale) dans l’état qui convient à ceux qui la dirigent et en profitent et que ceux qui la fuient ne font qu’acte de désobéissance civile.

Je ne mets aucunement en doute le militantisme et l’honnêteté de tous les défenseurs de l’école publique et de son changement (j’en ai fait partie).

Mais il serait peut-être temps, qu’au lieu de fustiger de soi-disant privilégiés, ils aillent voir qui ils sont (leur majorité n’est pas des nantis), ce qu’ils font, pourquoi ils le font, les difficultés qu’ils ont à résoudre, leurs tâtonnements, les contraintes qu’ils ont à vaincre, le terrain qu’ils défrichent, les organisations démocratiques qu’il faut explorer, les perspectives qu’ils ouvrent.

Ils s’apercevraient alors que ce n’est pas la voie du confort qui a été choisie, pas plus que c’était la voie du confort choisie par les premiers agriculteurs bio. Ils s’apercevraient que ces alternatifs ne font que s’inspirer et de prolonger au plus loin ce que les grands précurseurs avaient entrepris et entrevus sans que l’école de l’État n’en permette la généralisation, et pour cause. Ils s’apercevraient que ceux qui y opèrent sont en grande partie des enseignants qui ont quitté l’école publique et sa sécurité salariale lorsqu’ils ont compris que ses finalités et ce qu’elle imposait ne leur permettaient pas d’être au service des enfants et de l’humain[1].

S’ils allaient voir, ils pourraient alors constater, discuter et bien sûr critiquer.

Il ne devrait pas y avoir d’antagonisme entre tous ceux qui restent dans l’école publique pour malgré tout essayer d’améliorer le sort des enfants qui y sont captifs, leur permettre de se construire malgré tout en adultes libres, et ceux qui en sortent pour bâtir et mettre à la disposition des enfants et des familles autre chose et une autre liberté en dehors d’un système (qui ne les lâche quand même pas et les contrôle !). Ces derniers font exister et montrent à voir d’autres possibles, impossibles dans une école d’État hégémonique et souveraine[2]. C’est aussi difficile dans un cas comme dans l’autre.

Au lieu de s’opposer, il serait temps qu’ils se considèrent, qu’ils luttent ensemble, ils feraient alors peut-être ensemble changer l’opinion publique sur ce qu’est l’école et surtout sur ce qu’elle pourrait être, pour tous.


[1] On a oublié ou on a soigneusement oublié que Freinet est bien sorti de l’Education nationale pour faire dans son école privée de Vence ce qu’on l’empêchait de faire dans l’école publique !

[2] La privatisation de l’école, à juste titre redoutée, tient surtout à la méconnaissance par le peuple de tout ce qui pourrait être différent, ce à quoi il pourrait aspirer, réclamer et obtenir.