Le retournement est violent et il est dans l’air du temps. Ne sommes nous pas habitués à ce que les victimes se trouvent de nos jours accusées d’être les auteurs des mêmes maux qu’ils subissent? N’avons nous pas observé depuis le début des années 2000, comment progressivement on a accusé les habitants et jeunes des quartiers populaires, relégués et discriminés, de repli sur eux mêmes, communautarisme et racisme?

L’évidence pour une seule classe sociale, d’être au centre, d’être imbue de sa propre et indiscutable légitimité, amène toute initiative qui ne lui serait pas destinées à être vue et jugée comme insupportable, et même … antidémocratique.

La véritable démocratie, du point de vue de ceux qui sont intégrés ou dominants, ne peut concerner que ceux qui font partie du sérail, que ceux qui sont déjà convaincus, intégrés et encore retenus dans une société qui se délite.

Ceux qui croient incarner les grands principes de la Civilisation, du bon droit, imposent une vision bien particulière des relations sociale qui seule à leurs yeux mérite le qualificatif de « démocratique ».

Selon leur vision, toute réunion, tout collectif ne peut que reposer sur des principes, mystérieusement dégagés des réalités sociales, des contraintes et problématiques de vie.

La représentation sociale des dominants est toute empreinte de l’idée d’une certaine forme de gratuité et de disponibilité des individus dégagés des préoccupations de la survie quotidienne.

Pour eux les vraies relations sociales reposent sur une forme idéale et obligatoire d’adhésion libre et consentie … qui est à l’opposé des soucis du Monde !

La véritable culture, la véritable politique, selon eux, devraient être dégagées des préoccupations locales et immédiates. Il faudrait une « hauteur » , une distance , parée de toutes les vertus qui seraient les leurs.

Dans les institutions qu’ils fréquentent, la démocratie est devenue depuis longtemps une sorte de jeu mondain, formalisé, poli et distingué ; ils ont beau vanter les valeurs de la pluralité , et éventuellement l’opposition et de débats contradictoires, il n’en demeure pas moins que ce petit jeu ne se déroule que dans l’entre soi de ceux qui n’ont plus de souci immédiat.

Les structures sociales, socioculturelles, éducatives ou politiques reposent toutes sur la haute idée de l’adhésion volontaire. Celle-ci serait libre et éclairée . Elle reposerait en outre sur des conditions, des cotisations, des obligations.

Le récit démocratique libéral repose ainsi sur le mythe d’un individu libéré des contraintes immédiates, éclairé dans ses choix, et disponible, souhaitant s’organiser avec les autres pour sa satisfaction individuelle (supposée harmonieuse avec celle du plus grand nombre).

C’est un récit abstrait dans lequel tout individu est supposé égal et indifférent. C’est également un mythe utilitariste, qui nie la réalité d’intérêts antagonistes et des fractures sociales .

A l’opposé, il est un récit émancipateur qui n’envisage aucune intervention qui puisse être coupée de son contexte, d’apparition, de production.

Dans ce récit émancipateur, l’acteur social n’est pas libre de ses choix; il est engagé par une condition sociale , politique, administrative, économique et sociale qui le contraint. Il ne peut s’en émanciper qu’en en prenant conscience.

En Pédagogie sociale, nous l’avons déjà écrit, nous ne nous portons pas vers ceux qui sont par avance prêts et disponibles pour adhérer; nous ne nous portons pas vers ceux qui sont déjà d’accord avec le jeu institutionnel, culturel et social. Nous ne nous portons pas vers ceux qui sont déjà en mesure de se tenir aux conditions, de soutenir leur choix ou les institutions.

Au principe d’adhésion, nous préférons nous tourner vers la reconnaissance des nécessités d’agir et de réagir. Nous n’avons en effet, aucun choix: de nombreuses choses et réalités sont insupportables. Et nous devons agir, ici et maintenant, inconditionnellement.

A l’idéal du bon vouloir et du choix éclairé, nous préférons le concept d’engagement qui traduit mieux la nécessité de transformer une réalité inacceptable, et non pas de s’y adapter ou de s’en contenter.

Nous n’invitons pas les familles et les personnes à adhérer à nos principes, à s’intégrer dans nos activités qui seraient déjà pensées et déjà là. Nous les rejoignons et nous trouvons dans les problématiques sociales et collectives immédiates qui les traversent l’énergie même et la nécessité d’agir.

Nous ne nous adressons pas à des individus abstraits, disponibles et libérés qui sauraient déjà ce qu’ils veulent, qui le commandent et qui le consomment. Nous ne confondons pas la véritable démocratie avec la satisfaction des consommateurs.

Nous nous adressons à des gens qui sont requis par leur vie , qui en sont bouleversés. Ce sont ces personnes, ces problématiques qui nous convoquent.

Nous ne nous adressons pas à des personnes ou des groupes en recherche « d’activité », c’est à dire demandeurs de conformité de ce qu’on leur propre, vis à vis de ce qu’ils attendent.

Nous n’envisageons pas l’action sociale, éducative et culturelle, comme basée sur la libre décision d’individus abstraits et hors sol. Le véritable enjeu démocratique n’est pas « hors sol »; il dépend de la chair, de la terre et du sang.

Il n’y a pas que Démos, il y aussi Ethnos et Gaïa qui rentrent en ligne de compte.

Laurent Ott, Directeur,
Association Intermèdes-Robinson
Centre Social – Espace de Vie sociale – MJC
Chilly-Mazarin – Longjumeau – Nord Essonne
Tel 06 61 48 21 98
http://www.intermedes-robinson.org