Pour tel parent qui a des enfants scolarisés en collège, tel éducateur ou acteur social qui en connaît et qui en suit, l’évolution des pratiques réglementaires et procédurières des établissements est en passe de devenir … un monument!

Pour une simple entré en 6ème, l’enfant concerné se retrouve dès le premier jour confronté à un fatras de règles et d’interdictions à faire signer, dont l’accumulation, la juxtaposition et la banalisation posent problèmes.

Bien entendu , on trouvera sans surprise dans le cahier de correspondance un règlement intérieur de l’établissement qui semble bien naturel; mais dans le même cahier, et sur feuilles volantes viendront donc se surajouter: le règlement de la cantine, le règlement des toilettes, le règlement de l’utilisation d’internet, du carnet de correspondance , etc…

Nous avons même rencontré même des règlements de » la trousse » ou du « cartable ».

Du coup, et par mimétisme, je me suis surpris à prendre part moi même à cette « floraison réglementaire » et à produire le règlement manquant du taille crayon.

Au sujet de ce taille crayons, on pourrait édicter par chapitres séparés, un certain nombre d’articles décrivant précisément et sans contestation possible: – son obligation, – sa disponibilité, – son emplacement, – ses caractéristiques techniques, – la fréquence de son usage, – l’entretien de sa lame, -la gestion éco-responsable de ses déchets, – la prévention de ses risques, etc…

Et évidemment tous ces règlements, toutes ces règles , seront écrites en adoptant abusivement un ton consensuel, un « nous obligatoire », comme si nous en étions les auteurs. Ne s’agit il pas de « Nos » règles de vie de « Nos » classe, et encore des règles de « Notre » vie d’écolier (ou à l’école) ou de « Notre » établissement… On écrira même parfois l’expression,voire la résonance curieusement libertaires, de « communauté éducative »

Et comme si ceci ne suffisait pas, apparaîtront au gré même des « cours » et selon les enseignants, encore et encore, des recueils de règles et d’engagements « solennels », pour chaque matière, pour chaque prof.

Plus les règles pleuvent et s’abattent , et plus elles sont « naturalisées »; ainsi les listes interminables d’interdits sont-elles, présentées comme liées à des éléments extrêmement positifs comme « la vie », « la réussite », « l’harmonie », etc…

L’enfant lui même ne doit pas seulement y souscrire, s’y soumettre; en réalité il leur doit tout. Il n’existe et ne peut exister que dans le respect de toutes ces règles.

C’est certain: ces règles ne sont pas faites pour être débattues, discutées, expérimentées entre soi, négociées, ou encore moins, décidées ensemble.

Elles sont nées d’un même désir délirant: celui de prévoir toutes les possibilités de contestation et de conflits, avec les enfants, les parents, l’environnement et de les exclure. Elles sont nées du fantasme de hisser les institutions et leurs acteurs au dessus de toute contestation , et que la faute, comme les erreurs soient toujours de l’autre côté.

Elles ne sont même pas faites pour être lues! Elles sont imprimées, photocopiées et la seule signature du parent, du responsable, compte (assortie symboliquement – cela va de soi- de celle de l’enfant lui même).

En fait les règles ne servent à rien; elles ne comptent pas. Peu importe ce qu’elles disent et ce qu’elles contiennent. Leur véritable message, leur authentique valeur est ailleurs. Elles sont là pour nous exproprier de nos vies.

Les règles, surtout dites « de vie » , nous déclarent toujours : « Ici tu n’es pas chez toi« ; « Ici tu es juste admis toujours en attente d’un renvoi éventuel »…

Elles nous disent encore: « Peu importe qui tu sois, il faut que tu existes le moins possible, que tu te glisses, que tu t’effaces et que tu te dilues , sans rien changer à l’agencement institutionnel qui t’entoure ».

L’idéal, qui découle de l’anthologie de toutes ces règles est celle d’un enfant , réduit à l’élève d’être éternellement neutre, camouflé, travesti, clandestin, et plus absent que présent au fonctionnement des structures qui devraient pourtant être les siennes.

Toutes ces règles nous passent le message; elles nous disent toutes : « Renonce! »

« Renonce à être, renonce à modifier quoi que ce soit, et au fond, retranche toi dans une indifférence salutaire qu’on te conseille ». Le mieux au final, serait que tu traverses sans passion les lieux et les institutions qui sont les tiennes.

Le fatras des règles et des règlements nous éloigne ainsi de toute envie d’appartenir, de partager, de vivre ou d’être ensemble. Ce qui compte ce n’est plus le contenu, mais la seule forme.

Peu importe que tu triches, si les règles sont sauves. Peu importe que ce que tu fais au fond, et ce que tu produis, tant que tu as toutes les apparences de ton côté: le bon horaire, le bon matériel et que tu sois… en règle.

Les enseignants, les responsables, les directions qui ont rêvé cela ont rêvé d’un monde où ils ne seraient tenus responsables de rien. Toute l’accumulation réglementaire repose sur l’espoir fou que l’autre soit toujours responsable de tout; toujours responsable de ce qui lui arrive. Toujours responsable de ce qu’on n’a pas su faire ou empêcher en tant qu’éducateur, enseignant, acteur social.

Toute cette entreprise législative dérisoire cache et révèle nos démissions éducatives et sociales . Elle exprime notre désir fou, notre besoin absolu de ne plus être dérangé par tous ces enfants , par toutes ces réalités. Elle met en scène notre besoin de repos éternel, ici , maintenant , peut être devant le tombeau de nos révoltes passées.

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Laurent Ott,

Intermèdes Robinson – Espace de Vie Sociale/ CENTRE SOCIAL
Longjumeau- Chilly- Massy et Nord Essonne

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