Quelque part entre ubuesque et sordide. Un nouveau guide de la laïcité est donc annoncé, tout droit sorti de l’imagination sans limite du ministre de l’EN et de son conseil « des sages ». Et comme il en en a pris l’habitude, c’est aux médias que Blanquer en réserve la primeur, manifestant par là le peu de cas qu’il fait des destinataires, établissements et enseignants. Même si l’on sait bien que, pour lui, le destinataire est d’abord l’opinion publique ou plus précisément sa réduction, le sondage d’opinion. Il se trouve d’ailleurs, pur hasard, qu’un récent enquête plaçait la laïcité au cœur des préoccupations des Français. Aux côtés du terrorisme…

« Je pense – explique le ministre, car il pense – que trop de temps a été perdu (…) Il faut désormais que la République se montre sereine et forte sur ces questions » A l’en croire, le sujet serait entièrement nouveau, le terrain vierge, jamais avant lui, l’école ne s’étant préoccupée de laïcité. Il ne faut pas lui parler, à Blanquer, d’un précédent livret de la laïcité (2015), distribué par sa prédécesseure NVB : pensez donc, un livret de 32 pages alors que le sien en fait 83, nettement plus « volontariste », précise-t-il. Ni de la charte de la laïcité (2013), affichée dans les établissements avant d’être intégrée aux règlements scolaires et signée par les parents. Ni de la journée laïcité célébrée en grande pompe le 9 décembre dans toutes les écoles. Ni des programmes d’EMC (éducation morale et civique) qui chantent les louanges de la laïcité à toutes les étapes du cursus scolaire. Tout cela ne compte pas car privilégiant à outrance la prévention, là où la sanction devrait être de mise : « il faut – précise le ministre – annoncer clairement ce qu’on attend et ce qui est du domaine de la sanction. »

Et justement, parmi les nouveautés dont le phare de la pensée laïque est très fier, une sorte de « hotline de la laïcité », une adresse de saisine où chaque enseignant pourra signaler/cafarder « un problème relatif à la laïcité » et recevoir une réponse dans les 24 heures. Au regard des longs mois d’attente auxquels s’expose un enseignant confronté à des difficultés administratives, ou encore un élève à besoins spécifiques, ou encore un élève handicapé déscolarisé à cause d’un manque de personnel adapté, on se dit que la volonté ministérielle de débloquer « des moyens humains (…) pour prévenir, soutenir, intervenir » fait, avec la laïcité, le choix de bien curieuses priorités.

Mais d’ailleurs, de quelle laïcité s’agit-il ? La question est légitime car, dans le vécu des établissements et la réalité des choses, lorsqu’il s’agit de définir « les atteintes à la laïcité » et mieux encore de les comptabiliser, le ministre se fait hésitant (sentant peut-être le ridicule ?) : autour de 280 cas auraient été signalés « mais cela mélange des choses extrêmement différentes qui, finalement, ne relèvent pas vraiment de la laïcité » (sic). Récapitulons : l’Education nationale mobilisée (et les médias ameutés) pour défendre la laïcité autour de 280 cas relevés dans 65 000 établissements scolaires scolarisant 12, 5 millions d’élèves ; sur des faits qui, « ne relèvent pas vraiment de la laïcité ». Ainsi est-il toujours question d’élèves contestant des cours d’histoire ou de SVT, de certificats médicaux « de complaisance » pour contourner l’EPS, de garçons qui, dès la maternelle, refuseraient de donner la main aux filles etc. Autant de faits qui – outre qu’ils tournent en boucle depuis de nombreuses années (et tout spécialement depuis 2004 et la publication du rapport Obin, érigé en référence rarement contestée malgré ses limites) comme si leur répétition suffisait à assurer leur crédibilité – n’ont effectivement pas grand-chose à voir avec la laïcité.

Car, quand la loi de 1905 adopte le principe de la liberté de conscience en matière religieuse et de non intervention de l’état, on a du mal à comprendre, comment, plus d’un siècle après, le même mot pourrait signifier son contraire, déviant vers une surveillance constante des individus et des mœurs (voir par exemple, l’obsession de l’administration autour de la robe longue des filles ou du bandana), imposant une sorte de police de la pensée, en totale contradiction avec la charte de la laïcité (1) que les élèves sont censés respecter. Contradiction également avec l’une des missions traditionnellement attribuées à l’école, qui consiste à développer l’esprit critique. Un esprit critique qui s’accommode mal de l’interdiction de parler.

Reste que, finalement – et c’est là que l’ubuesque vire au sordide – en dépit de tous ces éléments connus, il n’échappe à personne (il ne devrait échapper à personne…) que ce nouveau livret laïcité (en attendant le suivant à 200 pages) ne vient pas de nulle part, à n’importe quel moment. Les contradictions relevées font sens : ce n’est pas la religion catholique qui est visée, heureuse bénéficiaire pour ses écoles d’un généreux financement public. Ce ne sont pas les religions qui sont visées mais l’une d’entre elles. Ce n’est pas l’islam en tant que tel mais les élèves et leurs familles qui s’en réclament, toutes ou presque issues de l’immigration, victimes de l’effarante dérive identitaire de la laïcité, dans laquelle l’Education nationale, sa tête politique mais pas seulement, tient plus que sa place.

(1) Art 3. « La laïcité garantit la liberté de conscience à tous. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Elle permet la libre expression de ses convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites de l’ordre public. »
Art 8. « La laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans la limite du bon fonctionnement de l’École comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions. »