Quelle modalité de grève pour le monde enseignant ?

Le texte qui suit n’est pas une injonction à suivre une manière de faire la grève mais une invitation à la réflexion sur une manière possible de faire grève. Il s’agit donc d’en discuter avec des camarades de luttes et pourquoi pas de les confronter à la réalité.

La grève, un moyen de lutte interprofessionnelle ?

Le but de la grève est selon moi double : cesser la production pour limiter les revenus des propriétaires, des patrons et créer un moment où de prise des moyens de production par les travailleurs. Si le premier but me semble plus facile dans des secteurs marchands – rentables -, il me paraît plus difficile à atteindre dans les secteurs non marchands comme l’éducation où la richesse créée se calcule plus difficilement et surtout où le produit – l’éducation – n’est pas réellement vendu mais plutôt offert en tant que service public (1). Dès lors, dans le monde enseignant, il me semble intéressant de coupler fréquemment les deux buts de la grève, c’est-à-dire arrêter de produire pour notre patron (l’Éducation nationale) et prendre les moyens de production (c’est-à-dire produire pour nous-mêmes).

Produire pour nous-mêmes : vers une éducation émancipatrice/émancipée ?

Arrêter de travailler pour travailler peut sembler dans un premier temps paradoxal. Mais il s’agit ici d’arrêter de travailler pour notre hiérarchie et de travailler pour nous-mêmes, pour nos élèves et pour la société. Comment cela peut-il se mettre en place ? Plusieurs façons s’offrent à nous, modalités déjà pratiquées par certains mais que le temps libéré pourrait permettre de généraliser.

Premièrement, il peut s’agir d’un partage de pratiques qui pourrait se faire en atelier en fonction de thématiques décidées collectivement (pédagogique, didactiques…etc ) ou selon les disciplines (en se regroupant par discipline ou par couple de discipline), l’un des choix n’excluant pas l’autre. A partir de ce partage, la réflexion s’ouvre et l’expérience des uns peut venir compléter celle des autres.

Deuxièmement, il peut s’agir de moment d’éducation pour nous-mêmes, enseignants. Nous pouvons profiter de ces journées sans travail à fournir dans nos établissements pour nous former. Comme auparavant, les thématiques peuvent être décidées collectivement le jour-même ou proposées auparavant pour avoir une plus grande latitude d’organisation. Il me semble nécessaire de cadrer ses thématiques pour rester dans des thèmes « utiles » à nos activités syndicales et pédagogiques. En effet, relier le syndicalisme et la pédagogique me semble ici très important. Pour mettre en place de ce genre de pratiques, piocher dans la boite à outil de l’éducation populaire me semble intéressant (arpentage, enquête conscientisante, débats mouvants, entraînement mental…etc) (2 et 3).

Dernièrement, il peut s’agir d’un moment d’éducation pour les mouvements sociaux, les camarades syndicalistes et d’autres collègues. Il ne s’agit pas ici de se mettre dans une posture avant gardiste, une posture de savoir face à l’ignorance mais plutôt dans une recherche partagée d’émancipation partagée par le développement d’atelier sur différentes thématiques d’actualité et théoriques4. Par ce biais, il est possible de montrer que les différentes problématiques touchant une diversité de secteur font système et sont liées. Cependant, cette modalité n’aurait pas vocation à remplacer les assemblées générales, temps important de discussion et d’apprentissage mais plutôt à être un temps complémentaire. Ici encore, les outils de l’éducation populaire ou de la pédagogie critique (Freire, Pereira) semblent importants pour mettre en œuvre cette modalité de grève (notamment les pratiques de conscientisation ou de lecture collective).

Erwin

1. Je pense toutefois que la grève « simple », c’est-à-dire la grève comme moment de cessation de production est plus efficace et productrice d’effet lorsqu’elle est locale. Néanmoins, il s’agit ici d’un simple avis et non d’une causalité statistique.

2. Le cœur du texte n’étant pas de parler de ces pratiques, elles ne sont pas expliquées ici. Mais on retrouve de nombreuses informations sur le site du collectif de la trouvaille et des différentes SCOP d’éducation populaire du réseau La Grenaille.

3. La pratique de la recherche-action me semble intéressante mais plus difficile à mettre en place puisqu’il s’agit d’une pratique de plus long terme. Cela me paraît néanmoins une pratique nécessaire.

4. L’exemple des ateliers construits lors des occupations de facultés me semble être un modèle intéressant à suivre.