« Mais putain vous vous foutez de ma gueule, assistés de merde ! ». Tels sont les propos qu’aurait tenus un professeur de français à sa classe de 5e et qu’il revendique haut et fort dans un texte circulant depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, complaisamment relayé par une ex-journaliste de Figarovox… Un texte qui visiblement enthousiasme… Un texte rageur, méprisant, insultant se voulant une énième illustration de l’effondrement du niveau, de l’impossibilité d’enseigner.

Vrai billet ou montage bidon ? Au final, peu importe, parce que les commentaires qui ont salué ce message – louant cette « libération de la parole » – eux, sont bien réels. Ils témoignent d’une montée en puissance de cette « pédagogie noire » dont parle Alice Miller.

Relisant avec toujours le même ravissement les brillantes chroniques de Noëlle De Smet (Au front des classes, face à la classe, aux côtés des élèves, dans les luttes sociales, Cgé, Couleurs livres, 2009), je suis tombé sur l’une d’entre elles, « Obéis et tais-toi ? » qui mériterait bien de connaître une diffusion aussi virale sur les réseaux sociaux. Une réflexion de praticienne qui questionne, depuis la classe, nos postures d’enseignant.e.s, notre rapport aux élèves, notre vision de la pédagogie et de l’éducation.

« Mais non, il n’existe plus d’enseignants qui verraient les choses de cette façon. Simplement, ils veulent pouvoir faire leur travail, c’est tout. Ils ont préparé leur cours, un beau cours bien clair, avec recherche des élèves et tout. Alors l’élève qui n’y entre pas, qui n’obéit pas, ils ne peuvent pas l’admettre : celui-là ose renverser leur beau travail. C’est vexant. Là, c’est sans doute une conception de la pédagogie qui est en jeu : je donne du bon, ils doivent donc prendre. Un bon élève est un élève qui prend tout, tout de suite, et le bon professeur ne se questionnera pas sur son cours puisqu’il est bon. […]

Les actes, paroles, menaces prônant l’obéissance se perpétuent, comme allant de soi. Les motivations profondes ne sont pas dites entre enseignants ou entre enseignants et élèves. Sont-elles d’ailleurs connues ou conscientes ? Traversée par cette question d’obéissance, je m’interroge. Pourquoi n’ai-je pas écrit cette phrase dans le bulletin « Tais-toi et obéis ! » ?

Il m’est pourtant arrivé souvent d’être dans la logique de « j’avais-si-bien-préparé-mon-cours » ou de « j’ai-peur-qu’ils-ne-prennent-ma-place ». Il m’est arrivé aussi de me dire « Non, je ne veux pas former des moutons dociles, sous la menace des zéros ou de m’arrêter à des phrases comme « Un enfant obéissant, facile, c’est le rêve de tout éducateur. Mais ne pense-t-on jamais à cet homme veule et lâche qu’il risque de devenir ? » (J. Korczak) ou encore « Quelle chance pour ceux qui gouvernent, que les hommes ne pensent pas. » (A. Hitler). Et pourtant, au total, moi aussi j’aime autant que mes cours se passent bien… alors, qu’est-ce que je fais de l’obéissance ? Les « Tu dois faire ce que je te dis », je n’en ai jamais voulu, je n’y ai jamais cru. Les « fais-le pour me faire plaisir », encore moins. Au fil des ans, je n’ai vu se dessiner des chemins que lorsque je travaillais ces deux questions :

– Qu’est-ce qui va mettre des élèves en route ?

– Qu’est-ce que je fais des refus, oppositions, désobéissances ? […]

Je n’avais qu’une question Pourquoi ?, simplement pour tenter de faire mettre des mots sur les agissements. Souvent, j’apprenais plus ainsi que si j’avais simplement puni, sans plus. J’apprenais comment continuer. C’est la seule façon qui me convient pour traiter la relation d’obéissance (des médiations, des garanties, des décisions communes devenues lois pour tous, des possibilités de différer, une parole sur…) est en fait un exercice ardu, quotidien puisque, comme tout un chacun, je suis aussi tentée par le rêve qu’ils m’obéissent tout de suite et toujours. Mais dans ce cas, qu’auraient-ils appris et fait d’eux ? C’est sans doute pour cela que je suis incapable d’écrire dans le bulletin « Obéis et tais-toi », parce que je préfère, au dressage, les libérations ! » (In Échec à l’échec, n° 132, janvier 1999).

Peut-être, si l’on veut rêver à une autre école que celle que semble défendre l’auteur du texte méprisant qui circule en ce moment avec les soutien de celles et ceux qui s’y reconnaissent, faudra-t-il un jour penser une autre formation initiale et continue pour réfléchir véritablement à ces questions. Peut-être aussi faudra-t-il aussi poser la question du temps de concertation dans les établissements entre les collègues et y donner enfin une place aux groupes pédagogiques et syndicaux pour imaginer des collectifs qui ne ressemblent plus à des meutes, mais à des espaces démocratiques et émancipateurs.

Grégory Chambat