[**Le cri d’alarme des 15 000 scientifiques pour sauver la planète qui affirme : « Il sera bientôt trop tard » (mis en relief par le Monde du 14 novembre) m’a incité à réécrire, compléter, concentrer les textes précédents, à faire des propositions beaucoup plus concrètes, offensives, voire subversives. L’idée d’un système éducatif cessant de dépendre des alternances gouvernementales y figure et mériterait me semble-t-il d’être creusée. Le texte ci-joint est destiné au site Q2C (Questions de classes) et s’adresse aux militants pédagogiques et syndicaux que rassemble N’Autre Ecole avec succès. Raymond Millot, le 15 novembre 2017*] [*Un projet émancipateur face aux dangers de l’anthropocène*] un_projet_emancipateur_face_aux_dangers_de_l_anthropocene.pdf « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Dans ce clair-obscur, une multitude d’associations, d’ONG, de mouvements affrontent tel ou tel monstre, de l’extinction des espèces au nucléaire, du CO2 à la déforestation, inventent telle ou telle solution, du solaire à la permaculture, et travaillent au « changement de paradigme » qui s’impose. Les actions sont nombreuses, audacieuses ou modestes, mais dispersées. Les citoyens qui s’y impliquent n’ont pas nécessairement conscience de vivre dans une nouvelle ère géologique, « l’anthropocène », du fait des activités humaines. Il importerait qu’ils s’efforcent de nommer leurs dénominateurs communs afin d’en faire une force capable de traduction « verticale », politique. La « transition écologique » en est un, mais qu’il s’agirait de préciser, pour éviter son emploi par ceux qui entendent que rien ne change. Le nouveau monde n’est pas celui qu’imaginait Gramsci. C’est celui du réchauffement climatique, de l’extinction des espèces, de la démographie galopante, dont certains subissent déjà des effets effrayants. Les scientifiques qui en étudient l’évolution ont longtemps évité de noircir le tableau, sachant que le catastrophisme engendre le négationnisme (cf. Trump). Le 13 novembre 2017, la situation apparaît si dramatique que 15 000 d’entre eux lancent un cri d’alarme proprement effrayant :« Il sera bientôt trop tard ! » : quantité d’eau potable disponible per capita de 26%, 120 millions d’ha de forêts convertis en terres agricoles, population mondiale croissance de 25% en 25 ans, extinction des espèces 29%, etc. Il importe donc de se mobiliser, de conjuguer les efforts, de changer fondamentalement de paradigme dans tous les domaines de la vie sociale. Curieusement, le monde de l’éducation ne semble pas concerné. La société se clive, les écoles privées (très majoritairement catholiques) scolarisent près de 20% des enfants et l’école publique se tourne résolument vers un passé mythique. Alors que l’idée même « d’Éducation » Nationale est abandonnée en faveur du « lire, écrire, compter », les mouvements pédagogiques et d’éducation Populaire qui avaient élaboré en 2010 un programme commun (Appel de Bobigny ) se replient frileusement sur leur pré carré. La transition écologique  qu’il s’agit d’entreprendre, et plus globalement l’avenir très sombre qui attend nos enfants impliquent que l’on développe, dès aujourd’hui, la capacité de penser et d’agir en s’affranchissant des idées reçues, en agissant solidairement, en récusant toutes formes de violence tout en dénonçant les sources d’aliénation. Ce que le mouvement ouvrier nommait émancipation, doit devenir le dénominateur commun des militants pédagogiques… commun à l’ensemble des militants politiques qui s’y engagent . Ce dont nous devons prendre conscience, c’est que cet objectif ne s’inscrit plus dans l’espoir d’un progrès continu, engendrant « les lendemains qui chantent » ou « les jours heureux », qu’imaginait le Conseil National de la Résistance. Ce qui est en jeu de nos jours, c’est la survie de l’humanité (et de nombreuses espèces vivantes) c’est la marche vers une sobriété radicale. L’idée de progrès s’accommodait du temps long, s’étalait sur des dizaines de siècles. Les réalités de l’anthropocène exigent que des mesures draconiennes soient prises dans les décennies qui viennent. Malheureusement, la nature humaine face à l’urgence, pousse à différer, à « procrastiner ». Elle pratique la « dissonance cognitive » : on connaît le danger, mais on ne veut pas y penser. Face à cette réalité suicidaire, le projet émancipateur commande aujourd’hui de cultiver « le pessimisme de la raison, l’optimisme de la volonté ». Les militants pédagogiques doivent, dans l’esprit de Gramsci, passer à l’offensive, dénoncer l’archaïsme de nos gouvernants, s’adresser au grand public pour que ce projet soit partagé, pour que les initiatives audacieuses dans lesquelles ils s’engagent soient comprises et défendues. Le cas des enfants japonais permet de poser le problème très concrètement. Les petits japonais apprennent très normalement à faire face aux secousses sismiques. Ils en étudient les données géologiques, géographiques, urbanistiques et se forment au secourisme. Ils acquièrent ainsi une résilience indispensable. – Pourquoi les enfants de Fukushima ne peuvent-ils étudier de la même manière, les données scientifiques, économiques, médicales, écologiques, de la catastrophe nucléaire dont ils sont les victimes ? – Parce que le système éducatif est régi, non par une constitution en décrivant ses objectifs émancipateurs, mais par des gouvernements qui ne peuvent tolérer que soient mis en question leurs choix politiques, voire leurs falsifications criminelles (ainsi : le taux de radioactivité tolérable a été fortement augmenté pour que les réfugiés soient obligés de retourner chez eux en dépit du danger !). Le système éducatif dont nous avons besoin doit permettre d’examiner objectivement une situation vécue, ses causes, les illusions, les erreurs, les mensonges, la démagogie qui la caractérisent. Son ouverture sur les réalités, doit préparer les futurs citoyens à y faire face d’une manière lucide et active, tout en ayant le souci d’orienter leur dynamisme vers les réalisations et les recherches d’alternatives. Leurs parents, depuis la COP 21 jusqu’à l’appel des 15 000 scientifiques sont aujourd’hui en situation de comprendre les multiples interactions qui contribuent à l’équilibre du climat, la complexité des systèmes, la fragilité des équilibres. Il sera aisé de les convaincre que l’école doit développer la pensée systémique, indispensable pour comprendre les évènements à venir et pour y remédier. Les conditions et les impératifs sont donc réunis pour lancer de manière offensive, voire subversive, toutes les initiatives allant dans ce sens, oser une pédagogie du projet audacieuse, entreprendre ces projets interdisciplinaires qui développent la pensée systémique, mettre au point l’évaluation sur le modèle du « chef-d’œuvre pédagogique » pratiqué en Belgique. Utiliser les nouveaux moyens de diffusion et de débats pour dénoncer l’archaïsme du système actuel, pour montrer que les enfants rendus acteurs face à un monde dangereux construisent la résilience qui leur sera indispensable. RM * * * Les militants pédagogiques qui ont depuis longtemps pratiqué la « pédagogie du projet » doivent être les artisans de ce changement de pensée. Ils doivent réfléchir à ce qu’il implique politiquement : un système éducatif indépendant des gouvernements et des alternances (la dépendance actuelle, caricaturale, milite objectivement pour cette conception !). * * * Les militants de N’Autre Ecole pourraient travailler ces idées, interpeller les mouvements pédagogiques comme cela fut fait lors de l’Appel de Bobigny, pour en faire leur dénominateur commun. Le collectif constitué pourrait alors interpeller les organisations (très nombreuses) qui militent pour « la transition écologique » pour que  chacune décrive les alternatives qu’elle envisage ou réalise dans son champ d’action, pour qu’elles aussi déterminent leurs dénominateurs communs.  La voie serait alors ouverte pour une réflexion collective visant à confronter et harmoniser ces alternatives et les faire entrer dans le champ politique, au sein d’un plan B (comportant le volet émancipation) que la situation rend indispensable et crédible. RM. un_projet_emancipateur_face_aux_dangers_de_l_anthropocene.pdf

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