Pour cette (presque) fin de vacances, la suite de notre publication estivale de quelques-unes des chroniques revigorantes de Véronique Decker.
N’oubliez pas de commander et lire son dernier recueil, L’école du peuple.

Lorsqu’un salarié du privé fait grève, il ne produit rien, vu qu’il n’est pas allé travailler et son patron se ronge les sangs car les voitures Peugeot ne sont pas fabriquées, les portes du Printemps Haussmann sont restées fermées, les bidons de lait n’ont pas été transformés en yaourts Danone. Mais lorsqu’un instit fait grève, ce sont les parents qui stressent et qui s’insurgent car ils craignent pour le niveau de leur progéniture et ils se mobilisent soit avec les enseignants pour obtenir les améliorations demandées, soit contre eux pour que leur enfant ait à nouveau cours.
Les enfants sont souvent simplement tristes de ne pas retrouver leurs copains.
Notre hiérarchie est ennuyée, car elle n’aime pas le désordre.
Seuls les instits de maternelle ont un réel pouvoir sur la production, car en refusant d’accueillir les enfants, elles empêchent les parents d’aller travailler partout où le « service minimum d’accueil » n’a pas été installé.
Mais beaucoup de parents sont trop accablés de soucis pour avoir le temps, l’énergie, l’envie de soutenir les revendications de l’école publique. Les plus aisés tentent le privé. Les plus distants sont devenus fatalistes. Et comme les enfants des banlieues ne sont toujours pas vraiment les enfants de la République, mais restent d’exotiques sauvageons à observer de loin ou à cadrer de près, j’ai désormais l’impression que nous pourrions faire grève plusieurs semaines sans que personne ne s’en émeuve, hormis notre banquier.
Nous faisons donc seulement quelques grèves d’une journée, qui ne construisent aucune alliance avec les parents, et sont vécues comme des journées de congés sans solde, car à Bobigny, il n’y a même pas de réunion de grévistes les jours de grève.
On fait grève, mais chacun chez soi. Et cela ne sert à rien sauf à écluser le repassage qu’on peut avoir en retard.
L’école publique et son entourage social pour le bien-être des enfants se dégrade donc lentement, mais sûrement. Ici, nous sommes aux premières loges pour assister à la disparition des acquis sociaux des enfants.
Oui, le niveau baisse. Mais pas le niveau des élèves, le niveau de la qualité de l’action de l’État social que nous n’avons pas su exiger.