La suite de notre publication estivale de quelques-unes des chroniques revigorantes de Véronique Decker.
N’oubliez pas de commander et lire son dernier recueil,
L’école du peuple.




arton1065-d1120-3.gif L’école du peuple
Véronique Decker
Collection N’Autre École / Q2C n° 9
Libertalia, 124 p., juin 2017
Prix : 10 € + 2,84€ de frais de port





Les irrédentistes

Nous sortions des grèves de 2003 contre la réforme des retraites, et l’équipe de l’école était soudée comme jamais. Soudée pédagogiquement autour de la pédagogie Freinet, soudée autour de la défense des enfants sans papiers, soudée syndicalement pour la défense de nos droits. Voici que l’Inspection nous demande de faire des bulletins sans note. Nous, on était ravis, car nous venions de finaliser justement un livret de compétences qui nous plaisait bien.

Mais voilà, notre livret ne convenait pas. Il fallait prendre le « livret de circonscription », et calculer un « taux de réussite » en pourcentage pour chaque item du programme, soit plusieurs centaines de pourcentages à calculer en CM2. Une usine à gaz illisible pour les parents.

Bref, tous les enseignants qui mettaient des notes s’en accommodaient, transformant rapidement un 7/10 en taux de réussite à 70 %, mais nous, qui avions rompu avec la note, on ne se voyait pas transformer des acquis en 100 %, des partiellement acquis avec des pourcentages fluctuants qui devenaient à nouveau des notes.

Alors, on a traîné des pieds. Puis on a carrément refusé.

L’inspecteur est venu faire une réunion d’équipe pour nous convaincre et il nous a traités d’« irrédentistes 1 ». On n’a pas su quoi répondre.

On ne savait pas ce que cela voulait dire, et grâce à lui, nous avons appris un nouveau mot de vocabulaire. Comme il est parti à la fin de l’année, on a fini par ne jamais le remplir le livret en pourcentage et nous avons conservé le nôtre.

D’autant que nous ne voulions annexer aucun nouveau territoire à la France. On s’est alors demandé si le niveau de notre hiérarchie ne baissait pas un peu.

(1) : L’irrédentisme est une doctrine politique énoncée en 1870 en Italie qui revendiquait l’annexion de l’ensemble des territoires de langues italiques.