Les KroniKs Robinson du 26 mai 2017
La précarisation des milieux populaires et des structures sociales est loin d’avoir été qualifiée, et analysée dans sa véritable dimension. La plupart des acteurs et décideurs sociaux sont encore accrochés à des grilles de lecture complètement inadaptées vis à vis de ce phénomène. On continue dans le secteur social à raisonner en terme de manques, de distance, d’éloignement, de handicap, alors que ces catégories échouent complètement à rendre compte des réalités sociales émergentes.
La plupart des accompagnements éducatifs et sociaux se structurent en fonction d’objectifs à atteindre. Ces objectifs , s’ils sont « réussis », seraient censés signifier le passage dans une réalité supérieure. On passerait ainsi de l’exclusion à l’inclusion, de la marginalité à l’intégration de l’échec à la réussite scolaire, de la rue au logement de droit commun et du chômage de longue durée au CDI…
Même si évidemment tout le monde est au moins conscient d’un surcroît inédit de difficultés de ces objectifs, on est loin d’une prise de conscience suffisante sur l’inadaptation désormais de ce modèle d’objectifs et de « réussite ».
S’il y a une chose que sait le précaire, c’est que l’hébergement n’est pas logement, que la mise à l’abri est toujours remise en cause, que le droit au soin n’est jamais totalement , ni durablement assuré. S’il y a une science de la précarité , celle ci doit pouvoir s’appuyer sur la science des précaires , vis à vis de leur propre malheur. Et eux savent, eux savent très bien que tous les progrès sont réversibles, que les objectifs atteints le soir, peuvent mener à la rue et à l’errance dès le lendemain.
Et s’il y a une chose que savent les acteurs sociaux qui travaillent au plus près des précaires, c’est de se méfier de leurs propres réussites. Telle adolescente qui brillait samedi dernier , montrait des signes d’évolution étonnants et semblait s’ouvrir de multiples, aura tôt fait de tout lâcher le samedi suivant.
Nous avons appris que les éléments que nos collègues, que les passants, que l’opinion publique , que les médias trouvaient édifiants n’avaient aucun sens à eux mêmes.
Telle jeune femme illustre un article sur les bienfaits des dispositifs d’insertion et elle préférera tout lâcher dès le lendemain car ses réels besoins n’y trouvaient aucune réponse.
A quoi cela sert-il de se donner l’emploi comme objectif d’accompagnement éducatif et social quand c’est la notion même de travail qui est en crise? A quoi cela sert- il de se donner le logement autonome comme objectif quand il est devenu si difficile d’habiter, de rester , de cohabiter , de financer, d’entretenir et de conserver son logement?
Or, tant qu’on cherchera à se raconter de belles histoires sociales, tant qu’on attendra des dispositifs des inversion de courbes ou de destins, nous n’agirons toujours pas la réalité de ce qu’est la précarité et de ce qu’elle produit. La précarité est irréversibilité , et il ne peut y avoir aucun « retour » à la normalité. Il ne peut y avoir que construction d’une réalité différente.
Aujourd’hui c’est le verbe réussir, le terme de réussite qui ont perdu tout leur sens. C’est pour cela, sans doute, qu’on les emploie sans cesse et qu’ils deviennent les objectifs énoncés obligatoires de toute action sociale ou éducative.
La réussite n’est pas la vie, on ne peut pas réussir sa vie: on ne peut que la vivre!
Réussir ne sert à rien, car les réussites aujourd’hui sont prédites, calculées , obligatoires. Elles sont dans l’ordre des choses qu’on nous impose. La Réussite est la dernière idéologie qu’on nous tend. On nous présente les vainqueurs et sitôt on nous les impose. Vouloir empêcher l’avènement de ce et ceux qui sont promis à la réussite est vain et futile. Tout est à leur service.
La réussite, surtout individuelle, est le mensonge d’un ordre violent que nous subissons tous.
La réussite se présente comme « sans effort », naturelle. Elle voudrait faire croire qu’elle n’est pas un arrangement, pas un trafic. Et c’est tout le contraire: l’idéologie de la réussite , pour donner une apparence de fluidité et de fonctionnement a besoin de monopoliser toutes les ressources, toutes les institutions, tous les soutiens. Et toujours de plus en plus, pour tenir encore. Il ne restera bientôt plus rien pour le Social, rongé par le cancer de la Réussite.
Or, dès que nous renonçons à parler de réussite, nous pouvons penser et comprendre la Pédagogie.
la Pédagogie est en effet, tout l’opposé du modèle de la réussite. La réussite se présente comme « spontanée », le sens même « normal » d’un train des choses. La pédagogie est au contraire une construction, une organisation, un effort, un risque.
La théorie de la réussite et de sa promotion comme valeur éducative, sociale et politique repose sur un schéma d’une action aussi claire qu’artificielle. L’idéologie de la réussite voudrait être l’affirmation d’un triple triomphe:
La Pédagogie, c’est tout le contraire. En Pédagogie, et particulièrement en Pédagogie sociale, on expérimente en effet trois vérités de base qui s’imposent dès lors à nous:
Une École, comme une Société, qui ne parlent plus que de réussite, consentent à n’être plus que la chambre d’enregistrement des injustices du Monde !
Laurent Ott, Espace de Vie Sociale, Intermèdes-Robinson Site, blog et bien plus encore : http://www.intermedes-robinson.org Vidéos : http://www.dailymotion.com/user/Cultures_Robinson/1
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