C’est sous ce titre qu’était lancé ce 22 mars un débat sur l’école dans l’émission « L’heure des pros » de la chaîne Cnews * animée par Pascal Praud. Et d’emblée le ton est donné par l’animateur : « Il suffit de lire un texte d’un ado pour comprendre le désastre », « le niveau s’effondre ». Et la question qui tue : « Et si c’était volontaire ? ».

Cinq invité-e-s : Jean-Rémi Girard, vice-président du Snalc, Jean-Paul Brighelli, « du Point » (c’est ainsi qu’est présenté le polémiste bien connu), Anne Genevard , députée LR et porte-parole de F. Fillon, Danièle Simonnet, psychologue scolaire et porte-parole du PG, et Patrick Bloche, député PS, président de la commission des affaires culturelles. Sans doute ce qu’on appelle à Cnews une répartition équilibrée … d’autant qu’il va falloir compter avec l’animateur, qui a choisi son camp et entend bien le montrer.

Face à un député PS qui campe sur les “bienfaits” de la politique gouvernementale et à une représentante du PG qui s’obstine en vain à vouloir orienter le débat vers la question des moyens et de la politique scolaire, on aura droit bien entendu à la litanie de tous les poncifs réactionnaires sur l’école : « On sait aujourd’hui que les élèves qui sortent de CM2, 45 % ne savent pas écrire la phrase ‘Le soir tombait’ » (Girard), « On est dans une catastrophe, une apocalypse molle depuis trente ans. Ça fait trente ans qu’il y a un projet délibéré de foutre en l’air l’école » (Brighelli), « Tout le monde n’est pas doué pour faire des études, quand même ! » (Praud), etc.

Mais c’est plus la forme que le fond qui est ici intéressante.

A défaut d’argumentation véritable, ce sont en effet tous les procédés de la rhétorique de domination qui seront employés pour refuser le débat : disqualification de l’adversaire et attaques ad hominem, déstabilisation par coupure de parole, appel à « l’évidence », refus d’écouter voire agressivité.

Quelques exemples suffiront.

L’animateur interroge Danièle Simonnet : « Alors, vous niez cette évidence [que le niveau baisse] sur l’orthographe ? ». Quand, en réponse, elle essaie de défendre son point de vue : « Attaquons-nous aux vrais problèmes », Praud la coupe : « Les vrais problèmes c’est l’orthographe, écrire, lire et compter ! ». S. : « Non, c’est pas que ça ». P. : « Eh bien ça devrait être beaucoup ça. On va donner la parole à Jean-Paul Brighelli ». Fin imposée de l’échange…

Un peu plus tard, Brighelli s’emporte contre le député PS : « Vous mentez Monsieur, vous mentez […] Je suis prof depuis quarante ans », ce qui entraîne une intervention de l’animateur, non pour calmer le jeu mais pour abonder : « Il [Brighelli] connaît peut-être mieux les écoliers que vous ! » et enchaîner sur une série de questions disqualificatrices : « Est-ce que vous êtes déjà entré dans une classe ? », « Est-ce que vous êtes prof ? Est-ce que vous savez de quoi vous parlez, en clair ? », et bien sûr sans écouter les tentatives de réponse…

Vers la fin de l’émission, quand le député PS tente de reprendre ses explications, on est carrément à la limite de l’insulte : « Tous ceux qui nous écoutent ils doivent dire en vous entendant ‘Mais les députés ils sont à l’ouest’ », « Je sais pas dans quel monde et dans quel milieu vous vivez à l’Assemblée nationale », « Votre problème, c’est la négation de la réalité manifestement ». Et lorsque le député s’insurge : « Vous avez un parti pris alors que ce n’est pas votre rôle d’animateur et de journaliste », l’animateur en rajoute : « Manifestement vous ne connaissez pas plus les journalistes que les enseignants, un journaliste ça témoigne de la réalité ».

Et pendant tout ce « débat » les quatre se relaient pour asséner que eux écoutent les « pros » et ne font surtout pas de politique : « Ce n’est pas le sujet, on ne va pas faire de la politique » (Praud), « On est confronté à des discours des profs (montrant Brighelli) qui disent c’est une catastrophe et à des discours des politiques (montrant Bloche) qui parfois nient cette réalité » (Praud encore), « Depuis un grand moment j’entends des discours politiques, on est vraiment dans le politicien » (Girard).

Alors effectivement, devant ce déluge de populisme agressif et de refus du débat sur un sujet aussi sérieux, on peut se demander « Qui veut tuer l’école ? »…

Heureusement, Cnews ne représente que quelque 0,5 % des parts d’audience. Mais cela ne suffit pas à nous rassurer.

Alain Chevarin

* : Cnews est le nouveau nom de la chaîne dite d’information en continu I-Télé (groupe Canal+, désormais détenu par Bolloré), qui a connu à l’automne dernier la plus longue grève -31 jours- de l’histoire de la télévision depuis 1968 et le départ des trois quarts de ses salarié-e-s devant l’intransigeance de la direction. Pascal Praud, journaliste sportif d’I-Télé, anime sur Cnews deux émissions de sport et l’émission « L’heure des pros ».