Après un certain nombre de sites et de blogs qui avaient déjà sonné le tocsin, Le Parisien vient de publier sur son site, le 7 janvier, pas moins de trois articles à la tonalité alarmiste sur de « nouvelles règles de grammaire » : « Nouvelles règles de grammaire : on y perd son latin », « Nouvelles règles de grammaire : des parents désorientés » et « Nouvelles règles de grammaire : le pour et le contre ».
De quoi peut-il bien s’agir pour susciter une telle anxiété ? De l’ajout à la terminologie grammaticale en usage à l’école de deux éléments d’analyse : le prédicat (qui correspond dans une phrase à ce qu’on dit à propos du sujet) et le complément de phrase (complément inessentiel et suppressible, représenté principalement par les compléments appelés jusqu’ici circonstanciels).

Cette « nouveauté » n’en est pas vraiment une : le prédicat est une notion utilisée en grammaire depuis longtemps en dehors des programmes scolaires en France, mais dans les programmes au Canada par exemple, où il désigne la fonction du groupe verbal ; et l’appellation « complément de phrase » a été proposée en grammaire scolaire dans les années 1970 par un certain nombre de manuels et d’enseignant-e-s avant de disparaître au profit des compléments circonstanciels (comme si la notion de circonstance était plus accessible à des élèves de 10 ans quand elle inclut la cause, le but, …).

On peut certes débattre du choix des termes et du type d’analyse syntaxique sous-jacent, mais on est très loin d’un bouleversement de l’analyse grammaticale (inchangée pour tout le reste) et à fortiori de la langue française. C’est pourtant ce que tentent de faire accroire ceux qui, par ignorance (inquiétante quand il s’agit d’enseignant-e-s) ou par volonté manipulatrice, dénoncent haut et fort cette « nouveauté ».

On assiste en effet, une fois de plus, à une levée de bouclier contre l’usage de ces termes. L’inévitable Brighelli y va de sa condamnation sans appel : « Si on leur parle de prédicat au lieu de COD, on leur donne un cadre général en les privant du détail. C’est les emmener au bord de l’eau sans les faire boire. », suggérant, à tort, que le COD ne sera plus enseigné. On mélange tout : « Je continue de faire dictée sur dictée, mes élèves ont un tableau de conjugaison par semaine à apprendre et j’ai ressorti mon Bled et le Bescherelle », explique tel enseignant, comme s’il y avait un rapport avec l’emploi des deux termes « nouveaux ».

Et comme à l’accoutumé, la déformation et la désinformation battent leur plein : il s’agit de laisser croire qu’on porte atteinte non seulement à une terminologie grammaticale, mais à la langue elle-même. Pour Brighelli, « Il y a une entreprise de démolition de la langue, une volonté de n’en avoir qu’une vision utilitaire pour pouvoir seulement lire un ordre ou une recette de cuisine ! ». Dès lors, les vannes sont ouvertes sur Internet et sur les réseaux sociaux : « Je trouve hallucinant qu’on veuille modifier notre langue de quelque façon que ce soit ! on veut en faire quelque chose de « logique » alors que le Français est tout ce qu’on veut sauf logique ! le Français est bourré d’exceptions et ça doit rester ainsi point barre ! ». Et la dérive se poursuit : « Encore l’éducation à la mode des socialos mais chut c’est fait pour mieux faciliter la pseudo intégration des immigrants. », jusqu’à « he oui avec une musul au gouvernement ou tire les francais vers le bas car les siens sont tres en retard » [sic].

On mesure là la difficulté à mener sur l’enseignement une réflexion sérieuse et l’ampleur de la tâche qui nous attend, face aux réactions de mauvaise foi et aux antiennes de ceux qui, comme Brighelli, n’ont qu’une « solution » à tous les problèmes : « Revenir à ce qui se faisait il y a cinquante ans ».

Et voilà pourquoi votre fille est muette…

Alain Chevarin (Q2C)