« Le niveau en orthographe des écoliers français plonge », titrait le « journal de référence »(1) ce 9 novembre. Ce cri d’alarme était motivé par la publication le même jour d’une étude du service statistique du ministère de l’Education nationale qui compare les performances des élèves de CM2 confrontés à la même dictée-type en 1987, en 2007 et en 2015.
De fait, le nombre d’erreurs constatées passe de 10,6 en moyenne en 1987 à 17,8 en 2015, ce qui mériterait une réflexion sérieuse sur la question. Mais ce constat déclenche immédiatement sur les forums et les réseaux sociaux, comme à l’accoutumé quand il s’agit d’orthographe, savoir porteur en France d’une forte charge émotionnelle, un flot de réactions passionnelles où dominent la recherche et la désignation d’un coupable, depuis « les pédagogistes » en général jusqu’à la fantomatique « méthode globale » en passant par « les inspecteurs » ou « les textos ». Et bien sûr la prétendue disparition des dictées.
Car « la dictée », cette spécificité française dans l’acception traditionnelle de la notion, c’est-à-dire le fait de dicter à des élèves un texte plus ou moins long mais inconnu d’elles et eux, de préférence une « belle page d’écrivain », et d’y compter le nombre d’erreurs pour attribuer une note par « évaluation descendante », est considérée par une large part de la population comme l’élément clé, voire unique, de l’apprentissage de l’orthographe. Remettre en cause ce postulat, c’est quasiment toucher au sacré : il n’est pas anodin qu’on emploie couramment le terme « faute » pour désigner les erreurs orthographiques.
Et peu importe que nombre d’études de spécialistes aient depuis longtemps – ainsi François Ters en 1973 – montré que, si la dictée pouvait permettre d’évaluer ponctuellement certaines compétences orthographiques lors du passage de l’oral à l’écrit, elle était de peu d’utilité pour apprendre l’orthographe. C’était déjà l’opinion de Marcel Rouchette, président, en 1966, de la Commission sur la rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire… De même, une dictée ne peut suffire à définir un « niveau » général en orthographe : elle ne permet de mesurer que ce qu’on veut lui faire mesurer à un moment M avec un texte T dans un contexte C.
Un véritable apprentissage systématique, régulier et raisonné de l’orthographe est possible et nécessaire. Depuis un demi-siècle, praticien-ne-s et chercheu-r/se-s – Jean Vial, André Chervel et d’autres – ont conçu un grand nombre de pratiques et d’exercices propres à cela : utiliser l’échelle Dubois-Buyse d’orthographe usuelle pour sélectionner les mots à apprendre, répertorier les difficultés des élèves pour mettre en oeuvre des exercices méthodiques et méthodologiques, faire pratiquer toutes sortes de manipulations grammaticales (substitutions, commutations, suppressions, expansions,…) permettant d’appréhender le système de la langue, faire pratiquer régulièrement des exercices d’application de règles d’accord, ou de conjugaison, ou de distinction d’homophones grammaticaux, des textes à trous, des auto-dictées, etc. voire des dictées thématiques liées à une réflexion grammaticale menée avec les élèves. Développer aussi, pour la connaissance fine de l’orthographe, la correction mutuelle des erreurs (chacun-e recherchant les erreurs de l’élève voisin-e), et la consultation régulière du dictionnaire en classe. Pratiquer enfin des évaluations encourageantes plutôt que cette « utilisation docimologique draconienne » de l’orthographe que dénonçait déjà François Ters et qui faisait s’exclamer en 1986 la grande spécialiste de l’orthographe qu’était Nina Catach, dans l’avant-propos de son livre L’orthographe française : « Il viendra bien, le temps où disparaîtront la notion de “faute” et le zéro en orthographe… ».
Mais en France tout cela cède le pas devant « la dictée ». Au point que, lorsque Najat Vallaud-Belkacem veut défendre ses nouveaux programmes, qui ne disent rien sur ce point, elle croit bon de préciser que « la discipline exigée par des dictées quotidiennes
Lorsqu’on aura enfin cessé d’identifier l’apprentissage de l’orthographe à « la dictée », et le nombre d’erreurs commises dans une dictée au « niveau » orthographique des élèves, on pourra enfin faire entendre de vraies questions pour analyser la situation et peut-être l’améliorer. Il n’est jamais trop tard, mais que de temps perdu…
(1) http://www.lemonde.fr/education/article/2016/11/09/le-niveau-en-orthographe-des-ecoliers-francais-plonge_5028192_1473685.html
(2) http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/09/18/oui-aux-dictees-quotidiennes-a-l-ecole_4761931_3232.html