Dans le cadre d’une enquête menée auprès de 7000 élèves âgés de 11 à 19 ans, auxquels il a été demandé de raconter l’histoire nationale (1), une des co-auteur.e.s, Eglantine Wuillot, s’est plus spécialement intéressée aux représentations de ces derniers portant sur la guerre. De fait, « la guerre, opérateur de l’histoire », est omniprésente dans le récit des élèves, un récit qui n’est guère baigné de considérations pacifistes.

Les guerres françaises toujours légitimes…

Sur les 3767 lycéens ayant participé à l’enquête, de fait, bien peu d’entre eux – 20 % – s’interrogent sur le sens des guerres. Seuls 1,9 % dénoncent leur « inutilité », leur « absurdité », alors que dans le même temps, 10 % y voient « un facteur de progrès ». Pour beaucoup, ces guerres auraient même une fonction « régénératrice » : l’histoire est perçue comme une succession de périodes de conflits et de paix à l’issue desquelles, « on s’en sort » toujours et, bien sûr, vainqueurs.

Bien peu critiques, lorsqu’ils cherchent à donner du sens à l’événement, notamment aux guerres du 20e siècle, davantage étudiées que les autres, les élèves mettent en avant la justification du « droit » : les guerres françaises sont toujours menées au nom de nobles principes qui les justifient. Lorsqu’elle est en guerre, la France se bat toujours pour la liberté, la justice, l’égalité. Pour la république également : mais comme la république fait l’objet dans tout le cursus des élèves d’une véritable sacralisation, ce sont en quelque sorte des guerres saintes que mène la France. Pour beaucoup, la guerre est même « un moyen d’élévation vers la grandeur ». Dans tous les cas, la France, constamment menacée, ne fait jamais que se défendre. Ses ennemis attitrés sont « les Anglais » pour les périodes les plus anciennes de l’histoire mais surtout « l’Allemagne », réduite au seul Hitler, unique Allemand dont, manifestement, les élèves connaissent le nom. Ce dernier fait d’ailleurs partie du top 10 des personnages les plus mentionnés par les élèves du primaire et du secondaire (2). Un élève laisse aussi percer toute sa fierté : « Grâce à tout ce qu’a subi la France et malgré tous ces combats, elle a su faire preuve de bravoure et c’est grâce à cette histoire que nous sommes là aujourd’hui en si bonnes conditions. » Ou encore cet autre, dont l’enthousiasme patriotique vient démentir – qu’il soit permis de s’en désoler – les assertions tellement rabâchées sur l’enseignement d’une histoire pénitentielle : « Nous remportons enfin la guerre [la Seconde guerre mondiale] grâce aux Etats-Unis. Aujourd’hui, nous pouvons être fiers de notre pays et de porter cette nationalité qui est d’être français. » On ne chantera jamais assez haut la gloire de la guerre… Notons ici l’emploi, fréquent dans l’enquête, du « nous » suggérant un sentiment d’appartenance à la collectivité guerrière et nationale. « D’après les récits d’élèves – écrit Eglantine Wuillot – la guerre constitue une part notable de la mémoire du peuple français. Elle fonde en quelque sorte l’identité de la France, pays guerrier et victorieux. » Bien davantage, précise-t-elle, que les luttes sociales « qui restent très absentes des récits. »

… surtout lorsqu’elles sont soigneusement sélectionnées

Ces tirades guerrières à connotation héroïque, sans nuances, ne viennent évidemment pas de nulle part : si, dans bien des cas, elles témoignent d’une connaissance approximative de l’événement évoqué et de son contexte, d’un autre côté, il faut comprendre qu’elles sont le fait d’élèves exposés depuis l’école primaire à un enseignement de l’histoire toujours en grande partie organisé autour du « roman national », un récit tronqué et artificiel faisant la part belle – et quasi exclusive en CM1-CM2 – à l’histoire politique et militaire, truffée de « grandes dates » et de « grands personnages » considérés comme les principaux acteurs de l’histoire. Dans une perspective téléologique qui fait de la France actuelle le résultat d’une patiente et consciente construction voulue par les dirigeants, d’abord de la monarchie puis de la république, l’histoire guerrière du pays est nécessairement amputée et biaisée : évacuées, les guerres coloniales, laissées de côté les innombrables guerres d’agression dont la responsabilité incombe à la France, passées sous silence les violences, les pillages, les destructions, les ravages exercés par les armées françaises royales ou républicaines. Toujours avec la meilleure conscience du monde puisque la France est toujours dans son bon droit. Une bonne conscience que les programmes officiels se gardent bien de troubler et se chargent même d’entretenir à travers l’éducation à la défense considérée comme un complément indispensable aux cours d’histoire. Après tout, à partir du moment l’éducation à la défense « vise à faire comprendre [aux élèves] que les militaires servent la Nation », pourquoi faudrait-il troubler leurs certitudes avec des questionnements hasardeux sur les incessantes interventions militaires extérieures de la France (plus d’une quarantaine rien qu’en Afrique au cours du demi-siècle écoulé), sur l’entretien de la bombe atomique, expression d’un terrorisme d’état ou encore sur la place éminente de la France dans le commerce des armes qui entretient guerres et tensions sur toute la planète ?

Questions interdites

On ne trouvera pas non plus, dans les préoccupations des élèves, quelque chose qui ressemblerait à un début de prise de conscience sur ce qui reste le moteur des guerres : la fabrique du guerrier. Dans un pays qui persiste à considérer la conscription comme un mode d’éducation et de formation civique parfaitement légitime (et dont la plupart des partis politiques réclament le rétablissement), il serait inconcevable que cette institution, dont la finalité est d’apprendre à tuer ou à se faire tuer sur ordre, puisse apparaître aux yeux des élèves et de leurs aînés pour ce qu’elle est vraiment : une des émanations les plus totalitaires de l’autorité de l’état. Faire s’apitoyer les élèves sur le sort des poilus de Verdun est une chose, les amener à comprendre que la mort de millions d’individus ne résulte ni du hasard ni de la fatalité mais qu’elle est l’aboutissement des efforts jamais démentis et des ambitions criminelles des dirigeants nationaux serait sans doute plus conforme à la vérité historique, aux compétences intellectuelles et aux objectifs civiques que l’enseignement de l’histoire prétend promouvoir. « Poser des questions, se poser des questions », comme le demandent les derniers programmes officiels ? Oui mais pas trop quand même et surtout pas sur la guerre.

Comme chaque année à l’occasion du 11 novembre, les enfants des écoles seront conduits devant les monuments aux morts de la commune : la Marseillaise règlementaire qu’ils délivreront alors satisfera probablement les « détrousseurs de cadavres et imposteurs » locaux. Instrumentalisation rituelle des morts, comme celle à laquelle se sont complaisamment livrés, à Saint-Lô, des enseignants de la Manche en réquisitionnant sans état d’âme apparent un millier de collégiens pour une Marseillaise en hommage aux morts de la Première guerre mondiale … et aux victimes du terrorisme. Les morts ne sont plus là pour leur dire ce qu’ils pensent de cette manipulation ni s’ils se sentent vraiment honorés par ces appels à verser toujours plus de sang. Même impur.

(1) Le récit du commun, sous la dir. de F. Lantheaume et J. Létourneau, Presses universitaires de Lyon, 2016.

(2) Dans l’ordre : Louis XIV, Napoléon, Charlemagne, Louis XVI, Clovis, De Gaulle, Hitler, Sarkozy (l’enquête s’est déroulée pendant la campagne électorale de 2012…), César, Vercingétorix. Rien que des bienfaiteurs de l’humanité.