Alors que les inégalités sociales et scolaires ne cessent de se creuser et de provoquer des explosions de violence, l’État s’en tenant à des politiques de maîtrise de la crise plutôt qu’à sa résolution, un collectif s’est créé pour réclamer la sauvegarde de l’éducation prioritaire et la réintégration en son sein des lycées (1).

Créée au début des années 1980, l’éducation prioritaire avait été mise en œuvre à titre provisoire, le temps de réduire les inégalités les plus criantes. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas tenu ses promesses, en dépit des avatars qu’elle a connus depuis. Pourtant on voit mal comment lutter contre les discriminations de tout ordre sans accorder plus à ceux et celles qui font les frais de la crise sociale et de la montée des racismes. Aussi les questions touchant au nombre d’élèves par classe et à la fixation de seuils, au rétablissement des heures pour les projets pédagogiques et culturels, à la formation des personnels enseignants et d’éducation, la création de postes de médecins et d’assistantes sociales sont-elles toutes légitimes et sans doute incontournables. Mais elles sont peut-être aujourd’hui aussi insuffisantes tant il s’agit de reprendre dans le présent la proposition d’une éducation émancipatrice.
 
Déranger tous les conformismes
A force de discours visant à sauver un monument en ruine, le monde perdu d’une école républicaine à laquelle il suffirait de redonner son lustre d’antan en renouant avec l’autoritarisme, les hiérarchies sociales et un élitisme qui fait bon ménage avec la mauvaise foi et le néolibéralisme dans la mesure où il légitime un ordre social inégalitaire en renvoyant ceux et celles qui échouent à leur propre responsabilité, on perd de vue que la tâche la plus urgente est la ré-élaboration d’un imaginaire social et politique commun qui donne enfin toute leur place aux différentes composantes de la société et à la pluralité.  

Comment imaginer qu’un élargissement de la démocratie puisse épargner l’école et la métamorphoser ? L’école étant l’un des principaux lieux de socialisation, il lui appartient d’être aussi un espace de renouvellement de la vie démocratique, de fabrique d’individus libres et autonomes. En ce sens, elle ne peut se contenter d’apprendre aux élèves provenant des milieux sociaux les plus modestes à lire, écrire et compter, mais doit devenir véritablement une communauté où les adultes prennent en charge des élèves capables de coopérer ensemble, de faire l’expérience de leur liberté et d’interagir (2). Construire collectivement un imaginaire social commun implique de s’intéresser aux écarts et aux équivalences, à la mise en tension de cultures se réfléchissant et se fécondant les unes les autres, de partir à la recherche de ce qui se situe entre les unes et les autres. Plutôt que de nier l’hétérogène avec lequel il faut compter parce que c’est une réalité de tous les jours, il est nécessaire de déranger tous les conformismes de manière à inventer un tiers permettant d’articuler la lutte contre les inégalités sociales et pour la reconnaissance culturelle, d’unir et de solidariser les classes populaires autour d’un horizon politique commun qui pourrait être malgré tout quelque chose comme un socialisme en acte.

 Un large mouvement de contestation sur le problème de l’éducation prioritaire serait une belle occasion de passer à l’offensive.
Jérôme Debrune, collectif Questions de classe(s)

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1.       Il s’agit du collectif « Touche pas à ma ZEP ! » : http://www.tpamz.levillage.org/. Il appelle à une nouvelle journée de grève le 17 novembre 2016.
2.       C’est une conception de l’éducation que défend François Dubet dans son dernier livre : Ce qui nous unit. Discriminations, égalité et reconnaissance, éditions du Seuil, coll. « La République des idées, 2016, 118 p.
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