Dans l’article ci-dessous, l’auteur s’interroge sur l’articulation entre mouvements sociaux et espace scolaire. A partir d’une analyse des mouvements sociaux qui ont émergé avec le mouvement altermondialiste, l’auteur s’interroge sur les conditions qui permettraient à l’école de devenir un espace de formation à une citoyenneté critique qui prépare les élèves à prendre part à une transformation sociale active de la société vers plus de justice sociale. Il invite les enseignants à transformer les centres scolaires en espace pédagogique de lutte contre-hégémonique.

Traduction de: José Antonio Antón Valero, “La pédagogie critique à partir de la perspective des mouvements sociaux”, revue Tabanque, 2003 (Université de Valladollid)

Phénomènes de changement et complexité

Nous pouvons considérer pour le moins deux présupposés basiques pour comprendre le rôle de l’école dans nos sociétés « avancées », dans le monde actuel. L’un d’entre eux se réfère à la nécessité de réaliser l’analyse des processus de globalisation. L’autre présupposé se réfère à la compréhension du rôle de l’école dans la reproduction du système et les possibilités contre-hégémoniques.

Sur ce qui est en lien avec les phénomènes de globalisation, nous pourrions signaler une croissante interrelation entre les diverses structures de l’économie mondiale dans ses différents objectifs et secteurs, en particulier en ce qui concerne l’économie financière et commerciale, à travers les flux de capitaux et le transit de produits. Ces phénomènes se déroulent dans un climat de conditionnement et de hiérarchisation de structures liées au capital spéculatif et pour d’autres avec la production. […]

Ces scénarios sont sans doute conditionnés par les transformations techno-scientifiques spécialement liées au monde cybernétique qui prévoit des formes plus rapides et des supports plus variés pour le transport de l’information et les transactions économiques pour les grands consortium et les entités supranationales comme le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Ce qui va faire perdre du pouvoir aux États dans la mesure où a lieu cette dynamique de mondialisation de l’économie. Cela affecte l’apparition de nouvelles formes de pouvoir et la difficulté de parvenir à des espaces réels de participation et de médiation démocratique.

Ce problème nous avertit que non seulement cela paraît essentiellement économique, mais fondamentalement politique y compris civilisationnel. Cette globalisation n’a pas produit, comme on l’espérait, des processus d’ajustement, régulés par le marché, mais génère des phénomènes de crises, de conflits et de catastrophes qui se présente sous la forme du chaos et du désordre. Cela conduit à une nouvelle forme d’organisation de la planète, de ses ressources matérielles et humaines, en prenant en compte qu’en 2050, il y aura 8 milliards d’habitants, la plupart dans des pays pauvres, parmi lesquels 120 millions seront en position réelle d’émigrer pour des raisons économiques et politiques, ou pour les deux à la fois. L’idéologie qui appuie ce processus se caractérise par une vision néolibérale et néopositiviste qui se formule en termes de « pensée unique » et qui préconise depuis le monde économique et social (et vers l’école), des critères de productivité, de rentabilité et d’efficacité, des économie de coûts (et de là l’innovation technologique), l’individualisme, la compétitivité, la réduction du secteur public et la gestion de style entrepreneurial.

Mais comment cette mondialisation, depuis la perspective d’un modèle culturel global, affecte l’éducation ? Ce panorama se trouve fortement influencé par la dénommée société de l’information, de manière à ce que les médias jouent un rôle fondamental dans la redéfinition de nouvelles identités. Celles-ci auront une composante chaque fois plus grande d’éléments locaux et universaux, qui iront en se conformant à des nouveaux modèles de vie, de nécessité, de consommation, de loisirs, d’information racoleuse et peu fiable (face à la plus cher, mais de meilleure qualité que reçoivent les élites) et en définitive le nouveau modèle culturel planétaire.

Cette tendance à la globalisation va a contre-courant des phénomènes identitaires propres aux collectifs humains, qui essaieront de briser les espaces de résistance culturels et politiques, générant de nouveaux conflits dans la carte des exclus et des périphéries chaque fois plus fragmentées et décrochées de la possibilité de faire face à ce processus.

Malgré la désarticulation de la société civile et la décomposition de la classe politique, ou précisément pour cela, il semble que ce phénomène de mondialisation négative a renouvelé l’action de beaucoup de mouvements sociaux dans le monde. Ces mouvements possèdent un haut niveau de flexibilité organisatrice et de sensibilités différentes comme expression de la pluralité de la société civile en relation avec les problèmes et conflits de nos sociétés modernes post-industrielles. […]

Les mouvements sociaux, un projet transformateur

[…]

Il faut noter qu’entre les « vieux » mouvements sociaux, comme le syndicalisme, le mouvement coopératif, le mouvement local, le féminisme, par exemple) et ceux qui apparaissent comme nouveaux (les dits Nouveaux Mouvements Sociaux NMS), on doit tenir compte de différents facteurs explicatifs :

a) Une crise culturelle produit d’une profonde crise de valeurs et le questionnement des formes d’identité propre d’un groupe ou d’un peuple face choc culturel lié à une offensive de la culture anglo-saxonne et aux processus de globalisation depuis la perspective informationnelle, générant une réaction de critique culturelle contre-hégémonique qui questionne le consentement sur lequel s’appuie l’ordre social.

b) Une augmentation de l’exclusion sociale et de la marginalisation générant un individualisme qui cherche à solutionner « ses problèmes » à la marge ou contre l’État.

c) Une crise de la « politique » sur le terrain du « politique » comme scénario différentié de la lutte des classes et d’une conception du « pouvoir » à la manière foucaldienne. On transfère le débat sur le terrain de la quotidienneté de manière à ce que cette « politique pour le monde de la vie » se perçoit comme des objectifs qui agissent sur des terrains d’action concrète qui cherchent des résultats tangibles liés à la vie normale, où se produisent des stratégies de coopération et ils ont une base morale reposant sur des sentiments de solidarité, la responsabilité et l’entraide, et en suivant le mouvement féministe, se questionnent sur la fausse division entre la sphère publique et privée.

d) Une crise de la culture participative, dans l’action sociale et citoyenne des modèles de participation politique à la manière traditionnelle (partis, syndicats ou parlementarisme). De là, la nécessité d’agir dans la perspective d’une « micropolitique ».

e) Un important phénomène associationnisme social à partir de la fin des années 1980, fruit du manque de confiance dans l’État et d’une exigence d’une meilleure participation dans des sphères de décision à une époque où il y a d’importantes carences relativement au bien-être.

Maintenant, ces mouvements sociaux compris comme « des groupes qui réalisent une action collective face à l’appareil institutionnel » projettent dans leur formes d’action des propositions qui sont ouvertes au débat de manière anti-dogmatique et auto-critique, acceptant des visions multiples, mais qui ne renoncent pas à leur radicalité, ni à leur prétention pratique et concrète au moment de les réaliser. Il est nécessaire de réaliser cependant même de manière sommaire, une analyse de certains critères que nous pouvons suggérer :

– Tous les mouvements sociaux ne sont pas visibles. Certains peuvent avoir par leur répercussion et leur amplitude cette visibilité, parfois avec un caractère intéressé comme cela peut être le cas du mouvement syndical. Mais il existe d’autres mouvements qui ne sont pas perçus par l’ensemble des citoyens bien qu’ils agissent de manière très active.

– Parfois, on a une vision conjecturale au sujet de ces événements et des faits concrets, sans comprendre que l’action « visible » est le fruit souvent d’une autre « souterrainne » et dans ce sens, il faut se rappeler que l’existence des mouvements sociaux a de l’importance pour montrer une réalité qui sinon serait occultée.

– Tout ce qui bouge n’est pas un mouvement social. Certains secteurs sociaux ou politiques peuvent souhaiter se donner l’apparence d’un mouvement social pour justifier un supposé appui à certaines politiques de la part des appareils bureaucratiques et des politiques partidaires et de gouvernement.

– Tous les mouvements sociaux ne sont pas progressistes et critiques. En reprenant à Pierre Bourdieu son concept de domination symbolique, on pourrait suspecter une éthique puritaine à la Francis Fukuyama qui essaie de se substituer souvent à l’état de fait en générant un « sentiment du devoir » qui en réalité prolonge la domination du pouvoir.

Pour caractériser un mouvement social, Pedro Ibarra note la dimension d’action collective et de conflit pour résoudre des situations, en dénonçant les limites de la réalité et à la fois en réalisant une transformation sociale, mais dans le sens d’une transformation viable comme le signale Freire. Ces situations d’oppression embrassent non seulement l’espace politique, mais également le symbolique et le culturel, en basant cependant leur intervention sociale sur l’action éthique et morale.

Nous devons supposer, cependant, une continuité dans le temps qui assure une survivance de la conscience communautaire, qui favorise certaines formes d’identification et d’interprétation de la réalité, de son action sociale qui acquiert un pouvoir à mesure qu’il gagne la rue, qu’il réfléchit et s’organise, un sentiment de pertinence forgé dans l’action collective, une faible formalisation des rôles, sans affiliations, qui dépassent les classiques comportements hiérarchisés et de pouvoir où la citoyenneté est active, se transformant en des éléments qui peuvent influer sur les politiques structurelles et quotidiennes, une flexibilité organisationnelle dépourvue de rigidité vers la transformation sociale.

Selon Thomas Villasante, les mouvement sociaux critiques génèrent une tradition émancipatrice en permettant de créer des scénarios de réalité alternative qui questionnent la légitimité du consentement et de l’ordre et qui supposent un courant contre-culturel alternatif et contre-hégémonique relativement au pouvoir, représentant une réserve d’éléments de libération et d’expériences alternatives. L’ensemble de tout cela, crée de nouvelles conditions de possibilité pour une action collective comme le pointe Imanol Zubero, en permettant de nouvelles marques dominantes de protestations. […]

Les sociétés industrialisées et la société de l’information. L’éducation informelle et les moyens de communication.

Comme il a déjà été rappelé plus haut, cela fait depuis des décennies que les sociétés capitalistes industrialisées ont transformés leur caractère productif et organisateur en l’orientant chaque fois plus vers le monde de l’information. Cela suppose que la valeur ajoutée d’une grande part de ces marchés en circulation, comme le travail et le capital, requièrent un processus de sélection dans quelque sphère de la réalité sociale. Ces capacités qui sont essentiellement éducatives octroient un pouvoir spécial à celui qui est capable d’y accéder.

Le rôle des médias de communication, la cybernétique et les autres espaces éducatifs informels du monde de la publicité et du loisir gagnent du terrain dans la sphère privée et vont générer une reconstruction de la réalité, comme «réalité virtuelle » ou « spéculaire » (Carlos Lomas), une « industrialisation de l’esprit » qui se manifeste dans des structures et des manières d’opérer mentalement, et où le contexte idéologique dominant conditionne (et neutralise) de manière décisive les processus de réception des messages lancés depuis le monde éducatif formel et non formel.

Un des mythes de cette « nouvelle » société néolibérale est précisément que l’hyperabondance des flux d’informations dominés par les réseaux télématiques supranationaux, favorisent la communication/information de manière plus rapide et plus effective, et permet une plus grande participation et « contrôle » des processus de prise de décisions. Il faut émettre de sérieux doutes au sujet de ce degrés de contrôle relativement à qui dispose et utilise cette information, et tout particulièrement cette abondance qui affecte le monde scolaire (comme toute autre sphère de la société) qui supposerait en soi-même une garantie démocratisatrice et participative.

Vivre dans la société de l’information, par rapport à l’école, il ne semble pas que ce soit suffisant pour parvenir à l’objectif d’influer sur une meilleure compétence démocratique et d’influencer un changement d’attitudes et de valeurs et de doté de capacité démocratiques de participation, de prise de décision. D’un autre côté, les mécanismes de modelage, provenant spécialement des moyens de communication (et présents dans la perception de la réalité de l’élève et du professeur), influent de manière décisive sur la génération d’un type déterminé de représentation du monde social.

Au sein des matériaux provenant de cet espace éducatif, et en concret, celui des moyens de communication, le plus délicat pour son utilisation dans l’activité scolaire est la presse ou la télévision comme source principale d’information. Il est évident qu’il est necessaire à des critères d’usage adéquates, dans ceux l’on aborde dans un travail attentif sur le traitement de l’information, en devant le faire de manière contrastée, limitée, contextualisée, et non pas comme une source universalisable et créatrice de réalité (comme c’est le cas paradigmatique de l’image à la télévision).

Mouvements et identités collectives

Nous pouvons synthétiser en affirmant que la manière de communiquer au sein des groupes humains se retrouve dans le langage, les coutumes, les traditions, les habitudes, les comportements et passe temps. Ainsi, depuis une perspective sociologique, la culture possède certains mécanismes qui impliquent le communicatif et l’informatif, une représentation du monde, mais avec une spécificité qui permet d’intégrer des éléments nouveaux sans pour cela perdre cette identité collective. De là, selon Teresa San Roman, la recherche de manière consciente de référents culturels propres comme point de départ pour comprendre par contraste les référents étrangers.

Comme le rappelle Piaget, le dialogue interpersonnel et la négociation aident la progression cognitive et acquiert une signification par l’interaction et l’échange de manière à ce que la communication se transforme en véhicule des accords et des désaccords en situation de symétrie culturelle, où les possibilités de l’expression sont similaires et la reconnaissance sociale et l’attitude flexible et respectueuse, pouvant parvenir à une connaissance rationnelle et critique de l’autre. Ainsi, l’intersubjectivité aide à définir les tâches et à attribuer les rôles en provoquant des processus de collaboration, qui stimulent le débat et le conflit, l’argumentation, entrecroisant des opinions, des expériences et sentiments, et le désaccord, dans une tension dialectique qui favorise le processus cognitif. […]

Des théories traditionnelles aux théories critiques en éducation

En éducation, le type d’être humain (et également de système social et politique), le type de curriculum et le type de connaissance généré est inséparable.

Les théories mettent différents accents dans leurs réponses, vers l’espace de la société ou de la culture (sociologie et anthropologie), la nature humaine de la connaissance (psychologie de l’apprentissage) ou la nature de l’apprentissage ou la manière dont on apprend (pédagogie), et essaient de répondre au type de connaissance et d’être humain désirable.

Dans une perspective traditionnelle, […] l’approche historique de l’État espagnol, spécifiquement renforcé depuis 1938, a été celle de l’enseignement non-éducatif, idéologisant et national-catholique qui ne s’interroge pars sur un « savoir adéquat » et nécessaire.

Cette perspective a évoluée vers des postulats technicistes qui s’exposent dans les discours sur les nouvelles réformes éducatives, où l’on perçoit des modes de gestion basé sur des principes efficients et techno-productifs qui aspirent à l’ascenseur social appuyé sur la thèse de l’efficacité et de la compétitivité.

Est-ce l’acceptation, l’ajustement, l’adaptation, le dominant davantage préoccupé par la manière de mener l’éducation ? C’est un regard depuis l’organisation, qui se présente comme neutre, scientifique, désintéressée et technique. Les étudiants doivent être considérés comme un produit, en spécifiant des objectifs, des procédés et des méthodes, pour l’obtention de résultats qui peuvent être mesurés avec précision, sous la formation d’un behavorisme éducatif. Ainsi, ils formulent leur catégories théoriques comme objectifs, l’efficacité, la méthodologie, la didactique, l’organisation et la planification de l’enseignement-apprentissage, l’évaluation…

Dans une perspective critique, le concept de théorie dérive de discours ou de textes, dans la mesure où ces représentations de la réalité (comment elle est et comment elle devrait être), a des « effets de réalité ». L’objet décrit est inséparable de sa description. Le discours sur le curriculum créé une idée particulière de curriculum.

C’est précisément l’autre présupposé basique pour comprendre le rôle de l’école (et plus spécialement de l’école publique), qui nous conduit à affirmer qu’elle est en train d’arrêter d’être interprétable seulement comme un espace de reproduction de l’idéologie et du social, pour se transformer en un possible scénario de critique et de résistance contre-hégémonique. Parmi les différents motifs, on pourrait signaler les suivants :

a) Face au manque de représentativité du savoir scolaire qui contourne les réalités culturelles présentes dans la salle de classe, devient nécessaire un espace d’échanges et de croisement culturel qui, dans des conditions de symétrie, peut générer de la « compétence culturelle » et une meilleure capacité à affronter les réalités diverses et les réponses alternatives. Il est urgent de faciliter les habilités cognitives et culturelles qui aident à décodifer (lire) et codifier (exprimer) avec des registres alternatifs qui rompent avec la passivité du consommateur, incapable de contrôler le processus de technologisation de la société de l’information et des clefs culturelles avec lesquelles est exprimée la culture scolaire.

b) L’école est un espace possible de critique qui permet le questionnement des modèles socialement hégémoniques et peut donner à en connaître d’autres, alternatifs et émancipateurs.

c) L’école suppose une possibilité de vivre dans des espaces d’expérience et de diversité qui permettent de sortir d’un recentrement en lui même de l’élève (individualisme) et qui de cette manière facilitent la connexion avec la réalité sociale.

Ainsi, les garanties institutionnelles de la possibilité d’une culture démocratique, d’une reconstruction et expression de l’identité propre, de pouvoir partagé et de mise en interaction des croyances et des valeurs, sont rendues possibles dans l’école publique. L’école de qualité jouera son rôle dans la mesure où elle choisit le sens réellement éducatif, en lui même, c’est-à-dire, le développement d’une citoyenneté critique.

L’école doit-elle prendre en compte ces réalités complexes, les problématiques que j’ai mentionné plus haut, et ces acteurs qui agissent en elle et qui font une dimension importante de la réalité dans laquelle nous nous développons ?

L’école doit elle choisir de se constituer en espace critique, d’échange, de débat et de reconstruction culturelle alternative ?

L’éducation informelle

Au sein de l’espace de l’éducation informelle, on a fait des efforts pour élaborer des propositions et des campagnes dirigées vers les différentes objectifs éducatifs formels, non-formels et informels. Souvent, ces contenus présentent une vision centrée sur la quantité d’information, pensant naïvement que cela modifiera les pratiques des enseignants, les esprits et les attitudes de citoyenneté.

Cependant, on ne prend pas en compte que les comportements et les attitudes sont régis par des catégories conceptuelles, morales, des valeurs et des intérêts en interaction, qui conditionnent les processus de sélection de l’information qui, a leur tour, sont influencés pour les modèles culturels hégémoniques.

On observe la prolifération de pratiques dans le domaine non-formel (animateurs socio-culturels, travailleurs de rue, animateurs de groupes, d’association et ONG diverses) qui reposent sur un certain usage de la perspective socio-affectif, au moyen de la connaissance empathique, des dilemmes moraux, de jeux de rôles. Ces pratiques présentent des avantages pour la flexibilité et le renouveau du traitement des questions. Cependant, poussé à l’extrême, cela isole les changements en valeurs, des changements conceptuels et des processus de construction.

Ces stratégies prennent sens comme part d’une organisation éducative plus complète, non isolée du reste des agents éducatifs et contextualisé, de manière que le recours au jeu ne s’épuise pas lui-même, de manière auto-complaisante, et que s’organise également des changements dans les structures mentales qui sont à la base du réseau conceptuel.

L’action critique dans l’éducation informelle

La pensée critique mesure sa force dans la convergence des mouvements éducatifs, pédagogiques, culturels, socio-politique et historique. Les centres scolaires nécessitent de donner de la place à ces espaces idéologiques de débat social que représente les expressions culturelles diverses et de sensibilité différentes : éco-politique, pratiques solidaires, perspective de genre… enfin, vision globale et émancipatrice.

Précisément, le chemin de la posture critique, qu’explicite Giroux, pour le projet éducatif politique, culturel radical, correspond à une dense lutte contre-hégémoniques face à certaines situations dominantes. De là, l’exigence de faire valoir l’importance de défendre des politiques éducatives publiques et de développer, à la fois, une culture démocratique de participation, critique et radicale.

La dimension de l’éducation démocratique ne réside pas, seulement dans les contenus, mais dans des pratiques. La démocratie suppose une redéfinition permanente du traitement du conflit dans toutes les sphères. Si dans l’organisation et le traitement des problèmes existent des conditionnements qui influent sur les modèles scientifiques et les pratiques du professorat et de l’élève sans qu’il existe un apparent « contrôle », nous pouvons arrêter de considérer que la complexité de ce processus domine la réalité éducative. C’est le principe de changement et du divers, ce qui convient dans un système scolaire qui ne peut se réduire au système classe, mais qui également doit analyser d’autres rapports comme professeur/sciences, professeur/marché institutionnel, professeur/conditions matérielles. Cette option implique d’adopter une conscience réflexive et d’intervenir de manière décidée en potentialisant les projets éducatifs alternatifs qui étendent le sentiment de participation des écoles publiques culturelles cohérentes avec une base sociale éthique et de respect de la différence dans une société qui aujourd’hui paraît chaque fois plus complexe et multiculturelle (1).

A partir d’une éducation interculturelle, on favorise la création d’une conscience démocratique, participative et critique, tant sur le plan individuel comme sur le plan social, rendant possible une véritable dimension émancipatrice. Ainsi, on peut favoriser les processus d’apprentissage, soulignant la reconstruction de capacités cognitives, l’exercice de l’empathie, le travail autour de concepts structurant comme la causalité multiple et en définitif, celui d’une pensée complexe et systémique, qui a conscience d’une perspective, qui soit respectueuse bien que critique, qui développe des habiletés sociales et politiques nécessaires pour transformer la réalité et ainsi aborder dans de meilleurs conditions les conflits et les situations problématiques.

Dans tout cela est en jeu l’exercice d’une citoyenneté critique, l’exercice libre de la pensée créatrice, le sentiment de participation plurielle à une culture qui cultive l’autonomie réflexive et contre-carre toute prétention à fonder une éthique égalisatrice dominante.

Dans ce sens, il faut se rappeler que la sélection du curriculum suppose une représentation particulière de la culture, comme discours construit à travers des mécanismes sélectifs d’inclusions et d’exclusions qui légitime des formes déterminées de langage et d’expériences humaines, de relations sociales, de formes de raisonnement, et au bout du compte, en suivant Apple, une vision déterminée de la société. A partir d’une pensée complexe, cette organisation ne doit pas rester en dehors d’une réflexion sur les micro-pouvoirs (ou micro-physique du pouvoir, en suivant Foucault et Bourdieu) car nous sommes des reproducteurs inconscients de ce pouvoir dans une quotidienneté où il s’expérimente et se reconstruit.

L’approche épistémologique du curriculum réfléchit à partir de la théorie de la science et se demande pour qui enseigner et à partir de quelle source psychologique et pédagogique, comment et quand.

Le processus d’apprentissage s’oriente vers une formulation de problèmes et la planification de solutions. La méthodologie n’apparaît pas comme un ensemble de techniques ou seulement une pratique des enseignants, mais acquiert une dimension d’action-réflexion qui permet de réfléchir la pratique et d’élaborer une théorie orientée vers l’action éducative. Dans ce processus, le débat et la prise de décisions, dans une progression de la complexité et de l’abstraction, fait interagir les sources d’information où l’on rompt avec la vision positiviste occidentale de la culture, en articulant de cette manière science et connaissance, dans une conception systémique, où les sentiments et les valeurs acquierent une réorientation éthique et idéologique (2).

Dans la culture occidentale hégémonique, avec le modèle androcentrique, on confond l’humain avec le viril, assimilant un système de valeurs, un univers mental, une forme déterminée de connaissance et de manière de penser le monde. Cet androcentrisme a conditionné la pensée scientifique jusqu’à nos jours et fait partie dans une bonne part de la base culturelle au sein de laquelle nous nous mouvons de nos jours.

Autonomie morale et autonomie intellectuelle

Comme le montrent Piaget et Kohlberg, on produit une reconstruction de l’autonomie morale comme fin éducative, à partir de problème et de conflits concrets situés dans des contextes socio-historiques qui permettent une autonomie intellectuelle de manière à ce que les questions morales puissent se traiter au moyen de raisons et de valeurs applicables, non comme « universelles », mais à travers un dialogue orienté vers des accords, de manière à ce que les valeurs soient inséparables de l’affectif et du cognitif.

En dépit de certains courants centrés sur la dénonciation de la reproduction culturelle et éducative, les autres visions voient cet espace comme un territoire de dispute, comme une possibilité de résistance. Comme le défend Giroux, le contexte scolaire fait partie d’un « champ de combat » autour duquel se développent des stratégies et des alliances. De là, la nécessité d’éducateurs, comme « des travailleurs culturels critiques », pour déployer dans les écoles leur condition de sphère publique et de vie démocratique radicale, où on peut éduquer la capacité qu’ont les personnes «  de penser, d’agir, et d’être des sujets ».

Ainsi, le curriculum se transforme en une action émancipatrice et négociée (dans la perspective que leur donne Freire, Carr, Kemmis, Giroux, Apple) dans la mesure où au moyen d’un processus communicatif, cela rend possible que les étudiants usent de leur capital linguistique et culturel, permettant de débattre sur le cadre de leurs croyances et de leurs valeurs. Cela situe la communauté éducative comme ayant un action de contrôle de la connaissance et d’engagement transformateur. De là nous devons transformer les luttes éducatives critiques au moyen d’une participation active « croisant des limites », en lutte plus large pour la démocratisation et la reconstruction de la vie publique.

De ce fait, une lecture critique du curriculum formel ou caché doit s’orienter vers :
– Une vision critique et historique du discours scientifique
– Une transformation de la conception du processus de l’enseignement-apprentissage comme connaissance construite dans un contexte socio-culturel et historique concret.
– Une compréhension globale et non-technique de la réalité
– L’explicitation et le traitement des rapports de domination
– La configuration de l’espace où se situent ces relations
– La prééminence ou non d’un modèle de rationalité sur les autres formes de connaître, d’expliquer et de comprendre la réalité
– La centralité hégémonique ou non de l’archétype viril
– Les critères de l’inclusion et de l’exclusion de l’information ainsi que la discrimination de ce qui est significatif et de ce qui ne l’est pas.

L’hégémonie idéologique dont parlait Antonio Gramsci implique un acte de domination intellectuelle et culturelle qui empêche ou rend difficile cette libération sociale. L’engagement de tout éducateur/trice doit être ajusté à la nécessité de soumettre son action d’enseignant à la réflexion et participation au politico-culturel, luttant pour les principes de justice sociale et d’assumer une condition démocratique critique.

La volonté de transformation

Dans ce sens, l’éducation partage depuis une perspective critique la volonté de transformer le système social avec les autres mouvements sociaux qui le questionne, parmi ceux qui se rencontrent en première ligne, ceux des mouvements de rénovation pédagogique qui recouvrent une large tradition de théorie et de pratiques critiques, comme le mouvement Freinet ou celui de Freire. C’est dans cette orientation critique que sont questionnés les présupposés de l’ordre social et éducatif existant et de là que l’approche sociologique du curriculum interroge le pour quoi, le pourquoi et de qui (la théorie sociale critique), enquêtant sur les relations entre Savoir/Identité/Pouvoir.

Ainsi, le curriculum se transforme en une sélection justifiée avec une postérité et devient un territoire disputé, une question de pouvoir où privilégier/sélectionner/détacher/souligner acquiert le caractère d’un débat épistémologique et socio-politique. Et ses catégories théoriques tournent autour de l’idéologie, du pouvoir, de l’endoctrinement, des relations sociales de production, de conscientisation, d’émancipation, de curriculum formel et caché.

Dans cette perspective, on enquête sur la relation entre éducation et idéologie, sur l’éducation et la production : de là l’importance du rôle du contenu dans les matières, par leur transmission idéologique, ou des appareils idéologique d’État, les relations sociales à l’école, la reproduction sociale comme reproduction culturelle, au moyen de l’imposition et de l’occultation de la production et de la consommation de ressources symboliques et la domination symbolique dans l’orientation explicative des apports au sujet des conceptions d’hégémonie et de résistance par Antonio Gramsci, Louis Althusser, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Michael Apple ou Henry Giroux.

L’objectif éducatif essentiel sera de rendre possible une citoyenneté critique et solidaire, dans l’objectif de relations interpersonnelles, avec le moyen et l’organisation économique, sociale et politique qui s’expriment à travers des modèles culturels déterminés.

Lutter pour changer l’école va plus loin que de modifier des changements d’organisation, de structure ou de conditions de travail, car ces conditions proviennent de la fonction que le système impose et de la formation d’où proviennent la majorité des enseignants qui ont subi de cet endoctrinement et cette aliénation […] Si les travailleurs de l’enseignement veulent échapper à ses perversions que suppose la reproduction sociale par le système éducatif, ils doivent maintenir ces espaces comme des mouvements rénovateurs critiques qui historiquement ont soutenu jusqu’à ce jour, faisant leur cet autre style d’enseignement et d’apprentissage.

Ces réalités problématiques et la diversité des acteurs doivent construire un espace critique d’échanges, de débat et de reconstruction culturelle alternative. Face à la crise de civilisation dans laquelle nous sommes placés, cette nécessité de « redistribution culturelle » peut permettre un approfondissement du combat culturel et idéologique. Il est inévitable, cependant, de reconstruire un discours commun, un discours global de compréhension et de transformation sociale qui génère de la compétence culturelle, sociale et politique, et de la capacité à la décodification des messages que produit cette réalité virtuelle.

Le discours pédagogique critique suppose une tentative de « comprendre le monde et de transformer la réalité ». Parler de conscientisation dans le sens que lui donne Paulo Freire et d’autres éducateurs d’Amérique latine, suppose une éducation comme « un acte de connaissance et un processus d’action transformatrice sur la réalité », ainsi l’action éducative est essentiellement une action transformatrice, une action engagée et le rôle de l’éducation est stratégique dans ce monde déchiré par des conflits et des injustices. De là, ce que l’on a appelé une éducation émancipatrice, conceptualisée comme globale, conscientisatrice et interculturelle, qui va dans le sens de questionner le contenu du concept de modèle culturel et de développer et de recentrer le discours sur l’interdépendance des problèmes compris à l’échelle planétaire, abordant une explication dialectique et globalisée des problèmes mondiaux. Il n’y a rien qui peut se réduire à une aire ou un espace extra-curriculaire ou extrascolaire : « c’est le noyau des finalités éducatives, ce qui est en question, c’est le modèle culturel du système éducatif, le discours n’est pas situé dans la périphérie, mais contre un projet éducatif » (Ros et Anton)

Aujourd’hui, l’espace pour la pédagogie critique est réduit et sa perspective est fortement reléguée par les pratiques majoritaires, où les discours plus ou moins progressistes, – dans la perspective institutionnelle, syndicale ou des parents -, ne sont pas accompagnés généralement d’un lien avec les problèmes quotidiens et concrets. Cette situation a fait baisser la capacité des discours et des analyses à mesure que les mouvements de rénovations pédagogiques ont réduit leur capacité à faire des propositions et à mener en avant des projets de travaux qui jusqu’à peu servaient pour beaucoup comme des espaces où agir de manière collective, reconstruire de manière critique les pratiques et les expériences comme mouvement et espace social. Mais cela n’en reste pas moins nécessaire.

Face à cette nouvelle complexité, il est chaque fois plus urgent de faire un travail critique qui permet l’analyse et l’outillage de la compréhension. Jamais comme maintenant, il n’a été autant nécessaire de procéder à une éducation pour la néo-alphabétisation (dans le sens que lui donne Henry Giroux) et la décodification de l’information, des messages utilisés et de leurs codes symboliques : les éducateurs et les éducatrices critiques n’ont eu jamais eu un tel défi d’éduquer pour conscientiser et transformer.

(1) Il faut se rendre compte que la perception de la diversité ne doit pas se circoncrire seulement à sa dimension pédagogique (technique d’apprentissage, concepts, adaptation curriculaire), mais affecter d’autres objectifs qui également génèrent de la diversité :

– Diversité psychologique, sur laquelle nous pouvons agir pour le moins dans ses aspects en lien avec les rythmes d’apprentissage, les qualités spécifiques ou les déficiences physico-sensorielles.

– Diversité sociale : en faisant en sorte que l’institution offre une véritable égalité d’opportunité (mais également adaptée à des conditions concrètes de chacun), ainsi comme celle qui provienne du contexte socio-culturel, linguistique, familier, économique, d’âge, de genre, rural/urbain, groupes ethnico-religieux…

Pour les éducateurs, cette perspective est un outillage pour l’apprentissage d’habiletés sociales et de méthodologies de résolution de conflits (en commençant par ceux de l’entourage socio-familial et scolaire). Cette diversité, qui est dans tous les cas un enrichissement, peut se manifester de manière problématique, tant dans la maturité et les difficultés d’apprentissage ou l’incapacité de la coexistence comme l’absentéisme ou le manque de motivation. Cependant, on doit faire une analyse concrète et complexe des facteurs qui interviennent dans la genèse de cette diversité et ne pas se focaliser sur des facteurs essentiellement individuels et psychologiques ou sur des éléments de « cultures visibles » comme l’aspect physique, les coutumes et les comportements non-standards.

Cela implique qu’une véritable éducation pour la diversité doit être interculturelle dans la mesure où elle doit comprendre le large éventail de facteurs qui doivent être considérés à partir d’une conception de la culture non comme une addition de savoirs, mais comme un processus en construction permanente.

L’offre culturelle scolaire et leurs stratégies curriculaires possède un poids important dans un traitement de leurs intérêts et de leurs capacités différentiées de nos étudiants. Cela conduit à adapter le curriculum à un processus de prise de décisions et de recherche d’un itinéraire éducatif qui donne une réponse aux besoins de l’élève.

Pour consacrer une réelle attention à la diversité, il faut considérer un point de vue éducatif dans les lignes suivantes de travail :
– La flexibilité organisationnelle du professeur
– La flexibilité organisationnelle de l’élève
– Une coordination réelle et non bureaucratique pour le professeur
– Le renfort du travail de tutorat
– L’attention à la culture vécue et quotidienne
– La non-hiérarchisation des langages employés à l’école (iconique, textuel, oral..)
– La révision et la sélection des contenus curriculaires à partir d’une perspective interculturelle
– La collaboration de l’école avec les mouvement sociaux qui l’entoure
– La connaissance et l’échange avec d’autres réalités au niveau mondial
– La nécessaire et suffisante autonomie de l’école au niveau organisationnel pour mener à bien cette perspective dans la pratique

(2) Certaines variantes à prendre en compte dans le processus d’apprentissage :
1) Son effort personnel
2) Échange « entre égaux »
3) Coopération/collaboration
4) Intervention active
5) Antidogmatisme
6) Capacité d’auto-critique
7) Recherche d’explication
8) Confrontation des résultats
9) Vision positive d’une pensée divergente

Conflits :

Les dimensions et les aspects qui interviennent dans les conflits :
1) Une composante ethnique
2) Une composante religieuse/culturelle
3) Une composante d’âge
4) Une composante de classe sociale
5) Une composante rural/urbaine

La dimension socio-affective :
– Les valeurs sont dans ce que l’on apprend, comment on l’apprend, comment on l’enseigne et leur relation, c’est-à-dire le but du curriculum

– Il existe un facteur émotionnel dans le développement cognitif où interviennent des facteurs comme le travail en solitaire ou en équipe, dans quels espaces : dans la classe, dans la cour, à la maison, dans tous les lieux et scénarios d’échange. Le monde des sentiments n’est pas en marge de la manière dont nous comprenons, procédons et communiquons.

– Le facteur socio-familial est fondamental dans l’organisation et la complémentarité des stratégies éducatives.