Bien sûr, comme pour chaque rentrée scolaire, en sus des habituelles publications de la mouvance traditionaliste sur l’école perdue de la république, le bon temps de l’encre violette et de la blouse grise, s’afficheront les propositions loufoques comme celle, parmi les dernières en date, de Sarkozy, d’envoyer à l’armée les lycéens qui auraient échoué au bac, mais aussi de Fillon qui voudrait bien faire réécrire les programmes d’histoire par trois académiciens ou encore l’éblouissante idée de Geoffroy Didier, lui aussi candidat à la présidentielle, qui préconise un « dépistage de radicalisation » pour tous les collégiens – un peu comme Pécresse prétend imposer un dépistage du cannabis dans les lycées franciliens. A chacun ses obsessions. Ces facéties mises à part, il n’empêche que cette rentrée n’est pas comme les autres : dans un contexte où l’action politique se perd dans la gesticulation et le verbiage sans fin, l’école se trouve confrontée, en première ligne, à la question de savoir quel choix de société sortira des scrutins du printemps prochain.

Une droite décomplexée

Sur la question scolaire, les candidats de droite, extrême ou non, ont eu l’occasion de donner un aperçu de leurs préférences, souvent sous l’apparence de catalogues fourre-tout à destination du grand public et des journaux télévisés – autorité du maître, uniforme, méthode syllabique, examen d’entrée en 6e, etc – mais d’où émergent un certain nombre d’idées force. Au-delà des nuances – il faut bien marquer son territoire – la droite se rassemble autour d’une vision de l’école qui, notamment à travers la sélection précoce des élèves, évacue toute préoccupation de justice sociale. En quelque sorte, ne pas changer l’école pour ne pas avoir à se poser la question sociale. Autre pilier de son projet : en instrumentalisant sans vergogne la grande peur du terrorisme, tout en l’entretenant, la droite se retrouve également pour donner à son projet éducatif une forte connotation identitaire et sécuritaire, le plus caricatural étant dans ce domaine Le Maire qui reprend à son compte les poncifs les plus éculés sur la fierté nationale et l’amour de la patrie, des poncifs, qui, à l’évidence, ne sont plus depuis longtemps, l’apanage de l’extrême-droite.

… une gauche complexée

Rien de bien nouveau ni d’inquiétant si, en face, la majorité sortante (on ne dira quand même pas « la gauche ») avait su ou voulu profiter de la législature pour s’attaquer à quelques-uns des blocages qui font obstacle à toute véritable réforme du système éducatif. Des mesures ponctuelles – d’ordre budgétaire ou encore sur la rénovation de la formation des enseignants – surtout destinées à solder la catastrophe des années Sarkozy, ne font pas oublier la pusillanimité d’un gouvernement qui, sur le reste, s’est surtout employé à ne pas faire de vague, un peu comme si, là encore, seule la droite était légitime. Une « réforme » du temps scolaire limitée aux seuls rythmes hebdomadaires du primaire ; une « réforme » du collège touchant à tout casser le quart de l’emploi du temps des collégiens, tout en alourdissant le travail des enseignants ; une « réforme » du brevet (le DNB) consistant à remplacer une usine à gaz par une autre usine à gaz, une « réforme » de l’évaluation ou encore une « réforme » des programmes parasitées et stoppées en rase campagne par de bruyantes clameurs venues du Figaro ou de Valeurs actuelles ; une « réforme » de la carte scolaire réduite à quelques timides expérimentations laissées au bon vouloir des collectivités locales. Derrière ces reculades à répétition, une frilosité sans doute mêlée à de médiocres calculs politiques qui peuvent légitimement faire craindre que rien de tout cela ne résiste dans quelques mois à un changement de majorité politique.

Une indéboulonnable administration

Malgré ce maigre bilan et en dépit de l’autosatisfaction en permanence affichée, ce gouvernement s’est bien gardé, tout comme les précédents, d’agir dans un domaine qui, pourtant, conditionne tout le reste, celui de la gouvernance de l’Education nationale qui demeure, comme l’écrit très justement Suzanne Citron, « une machine à produire circulaires et décrets ». Bloquant les initiatives, surveillant plus que régulant, une administration centrale autoritaire et souvent brutale impose imperturbablement au fil des ans, des décennies, un « principe d’uniformité », confondu abusivement avec l’égalité, alors qu’il s’avère être au contraire un redoutable outil de sélection sociale. En mettant en avant une nécessaire autonomie des établissements, la droite en réalité ne touche en rien à cet état de choses, l’autonomie se résumant, dans son optique, à donner à un chef d’établissement toujours soumis à une autorité toute puissante, les pleins pouvoirs sur leur personnel et sur les familles, ces dernières leurrées par un discours trompeur sur la liberté de choix, une liberté de choix qui, au final, ne profiterait qu’au détenteur du pouvoir.

Printemps 2017 : triste héritage socialiste

Tout aussi grave que cette désertion de la gauche sur le terrain de la justice sociale, l’Education nationale s’est laissé entraîner sur une pente glissante, celle de la promotion autoritaire des valeurs identitaires, camouflée derrière une frénétique « mobilisation pour les valeurs de la république », objet de tous les discours ministériels et de l’empressement de tous les services de l’administration. Dans une confusion sémantique délirante, confondant société et république, collectivité et nation, histoire et patriotisme, éducation civique et bourrage de crâne, la ministre s’est lourdement impliquée en faveur d’un projet politique décidé au plus haut niveau et imposé brutalement, sans concertation, à 800 000 enseignants et à 13 millions d’élèves. A-t-on perçu ce qu’il pouvait y avoir de menaçant, de potentiellement totalitaire, dans la prétention de Najat Vallaud-Belkacem de sanctionner « toute remise en cause des valeurs de la république », ce qui revient en fait à interdire toute critique adressée à un régime politique barricadé derrière un état d’exception désormais permanent. A l’école comme à la ville, la paranoïa engendrée par la « guerre au terrorisme », la dénonciation obsessionnelle de la radicalisation, le dogme d’une identité nationale jamais questionnée, ouvrent toutes grandes les portes à la mise au pas d’une société tétanisée. Un inquiétant programme politique, fondé sur l’indifférence aux droits de l’homme, initié par l’actuel gouvernement et finalisé par le suivant.

De cette année scolaire 2016-2017, l’école – bouc émissaire obligé, objet de toutes les surenchères, de tous les populismes – a tout à redouter. On comprend bien, aujourd’hui, que les attentats ont permis l’émergence d’une pensée, d’une idéologie réactionnaire, largement présentes sur l’ensemble de l’échiquier politique, qui n’attendaient que ce prétexte pour se libérer et dont l’école est devenue le terrain d’expérimentation. L’école et la société qui sortiront des urnes au printemps prochain ne ressembleront probablement à rien de ce qu’on a connu jusqu’ici. Une perspective qui, à quelques exceptions près, ne semble pas préoccuper outre mesure les enseignants et leurs organisations représentatives.