Du printemps de la fraternité à l’affirmation d’un nouveau monde de luttes sociales et politiques

Sauf à refuser d’ouvrir les yeux, il est impossible maintenant de nier qu’il se passe quelque chose qui échappe au cours ordinaire des choses. Les “Nuits debout”, mouvement aussi inédit qu’inattendu, est venu soudain remplir le vide politique créé par un état d’urgence qui n’a pas d’autre but que de séparer les individus afin de les empêcher de se rassembler, de manifester et de rêver ensemble à un autre monde possible. Mieux encore, elles remettent au centre des préoccupations, par-delà les formules incantatoires, la question de la convergence des luttes et la grève générale reconductible, même si elle reste pour l’instant difficile ou réduite à une image nourrissant l’imagination collective. Elle est à tout le moins en train de devenir un horizon partagé d’espérances et ce n’est déjà pas si mal…

Police partout !
Les manifestant-e-s sur les places et dans la rue ont fait l’expérience de la grande brutalité policière depuis le début du mouvement de contestation contre la loi “travail”. Le 28 avril, une étape supplémentaire a toutefois été franchie. L’assemblée générale interprofessionnelle de Saint-Denis (région parisienne) avait décidé de bloquer symboliquement le port fluvial de Gennevilliers, un haut lieu de la précarité. La police est alors intervenue très violemment pour mettre fin à l’action et a procédé à des arrestations massives, empêchant ainsi la participation à l’assemblée générale prévue, ce qui constitue une remise en cause du droit de réunion. Une manifestation en direction de Paris a été interdite dans la foulée. Au final, deux personnes ont été déférées en comparution immédiate. Elles sont assignées à contrôle judiciaire et passeront en procès en octobre prochain. A Rennes, un autre a encore été grièvement blessé et cela fait suite à d’autres violences policières ces derniers jours, notamment devant des établissements scolaires bloqués par des lycéens. A Lille, c’est un local syndical qui a été forcé au prétexte d’interpeller des “suspects”. Les masques tombent et l’état d’urgence passe pour ce qu’il est réellement – le règne de la matraque. Seulement, à force de franchir les limites entre état de droit et état d’exception, les frontières se brouillent et l’exception finit par devenir de manière imperceptible la nouvelle norme.

La crise ouverte des institutions : un nouvel exercice de la liberté
Au soir du 28 avril, la Nuit debout de la place de la République a donné la parole à des représentant-e-s syndicaux pour débattre de la loi “travail” et des moyens d’obtenir son retrait. A cette occasion, on a pu assister à un débat conflictuel mais sincère entre des syndicalistes, dont le secrétaire de la CGT, et une partie du mouvement social. Il est clair maintenant que la crise du syndicalisme traditionnel, pour ne pas parler d’appareils bureaucratiques complètement fossilisés, offre la possibilité d’alliances nouvelles, d’élaborations de stratégies communes, de rapports renouvelés à la politique comme pouvoir d’agir collectivement. La crise institutionnelle pourrait bien en effet permettre d’ouvrir des espaces publics oppositionnels où il deviendrait possible de radicaliser la démocratie à la base, une démocratie qui serait un lieu de confrontation et de pluralité, de liberté réciproque. Car c’est bien en partant de là que nous réinventerons du commun. La délocalisation de la “Nuit debout” du centre de Marseille vers les quartiers nord prend ici toute sa signification tant cela témoigne d’une volonté de fraterniser avec et de reconnaître le tort fait à ceux et celles qu’on voudrait réduire au silence et oublier (1).

A l’école aussi, le pari d’une démocratie radicale
Mais puisque nous parlons de bien commun, comment ne pas penser à l’école ? C’est que les aspirations à une démocratie pleine et entière ne peuvent pas nous laisser indifférent-e-s. Cela nous renforce en effet dans notre volonté d’imaginer une éducation fondée sur l’entraide et la coopération, l’égalité dans la liberté, plutôt que la concurrence, la compétition, la domestication ou l’acceptation d’un conformisme condamnant à l’impuissance face aux risques de désagrégation de la société. On nous dira qu’une démocratie scolaire, la socialisation complète de l’école pour faire pièce à la logique marchande et aux conceptions misérables de l’économie vis-à-vis de la vie humaine, n’est qu’un pari. Nous répondrons qu’il vaut infiniment mieux que la soumission à un ordre social pareil à de la pourriture en décomposition.

1. «Dans les cités de Marseille, on n’a pas attendu la loi El Khomri pour être debout !», Libération du 24 avril 2016.