“M’enfin, j’ai bien le droit !”
En 1948, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme proclamait (article 23) : « Toute personne a droit au travail ».
En 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée en 2007 en même temps que le traité de Lisbonne, stipule (article 15) : « Toute personne a le droit de travailler ».
Entretemps, la pensée libérale a étendu son emprise.
Il y a en effet entre ces deux formulations une différence fondamentale : « droit au travail » signifie que celui qui n’a pas de travail est fondé à en réclamer car son droit n’est pas respecté. « Le droit de travailler » signifie au contraire que celui qui n’a pas de travail en est seul responsable puisque travailler ne lui est pas interdit. D’ailleurs l’alinéa suivant précise que « tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi ».
Le droit à indique qu’il s’agit d’un droit garanti par la loi. Le droit de indique seulement que ce n’est pas interdit.
Le droit à implique l’engagement de la société à pourvoir ce droit ; il se défend par des luttes collectives pour le faire respecter. Il est égalitaire : j’ai le même droit que les autres à un emploi, à un revenu décent, à un toit, à l’éducation, à la protection sociale, etc.
Le droit de signifie que chacun est autorisé à faire ce qui n’est pas interdit, et se défend par des recours individuels aux tribunaux. Il renvoie à un principe de liberté individuelle, que les libéraux de tout poil ne manquent pas de mettre en avant.
La société libérale se manifeste ainsi dans le domaine du droit de deux manières. L’individualisme accru entraine une judiciarisation des questions sociales, au détriment des luttes collectives. D’autre part, le développement de politiques de contractualisation dans tous les domaines substitue peu à peu les garanties individuelles aux garanties collectives, et in fine le « droit de » libéral au « droit à » égalitaire.
Réclamer le droit de, c’est se situer dans une démarche individualiste ; revendiquer le droit à, c’est défendre une conquête sociale.
Alain Chevarin