A Paris, les Unités Pédagogiques pour Élèves Allophones Arrivants sont encore des classes. Nous passons donc 18 heures par semaine en compagnie de nos élèves.
Comment, dès lors, pourrions-nous ne pas en être quelque peu transformés ?
Cela est encore plus vrai s’agissant d’élèves jamais encore scolarisés dans le pays d’où ils arrivent.

Dans la rencontre entre ce que nous estimons nécessaire qu’ils apprennent pour être à même de prendre leur place à l’école et dans la société et leurs interrogations et incompréhensions naît un espace chaque fois différent et infiniment singulier.
Ainsi la première fois que l’on dessine au tableau une flèche, allant de gauche à droite, et censée représenter le temps. Pour nous, cette représentation est si bien intégrée qu’elle semble aller de soi.
Elle nous sert à expliquer le temps dans le système verbal, la succession d’événements historiques, on la représente aussi dans l’espace lorsque l’on veut mimer le passé ou l’avenir…

Nous oublions qu’elle est le fruit de notre inscription dans un monde de l’écrit qui pour nous est un mouvement allant de gauche à la droite. Notre temps n’est pas cyclique, comme le sont pourtant les saisons et la course des planètes.

Expliquer aux élèves le fonctionnement de cette flèche est aussi leur raconter le fonctionnement de notre pensée. Et lorsqu’on y place un point zéro représentant le présent ou, si on fait de l’histoire, le début de notre calendrier, leurs questions, leur étonnement, leur envie de nous comprendre et leurs difficultés à y parvenir nous donnent l’étrange sensation d’être face à un grand mystère de l’univers.

De même, lorsqu’on souhaite aborder avec eux le domaine scientifique, les volcans, par exemple, et les raisons des éruptions volcaniques. Une fois que les plaques tectoniques ont été décrites, la lave en fusion, la pression etc., que répondre à ce « pourquoi ? » qui perdure. Et pourquoi une graine germe-t-elle ? Pourquoi le cycle de l’eau ?

Nous ne pouvons qu’expliquer, une fois de plus, que c’est de notre manière de penser qu’il s’agit : les liens de causalité, dans l’attitude scientifique, sont à chercher en dehors du bien et du mal. La vision téléologique en est bannie. Cela est dû tant à notre histoire avec les religions qu’à notre vision linéaire du temps, liée à notre pratique de la langue ; l’effet ne peut précéder la cause, il ne peut donc certainement pas l’expliquer. L’eau ne tombe pas pour nous donner à boire. Les volcans n’explosent pas pour nous punir. Et, oui, c’est ainsi que nous autres vivons : avec nos questions sans réponses.

En décrivant le mécanisme du volcan, nous n’avons pas expliqué pourquoi, en réalité, mais simplement comment.

Alors, ce qu’on apprend avec nos élèves, en essayant de les suivre dans leurs interrogations face à ces vérités plurielles, c’est l’étrangeté de notre vision du monde. L’attention intense qu’ils consacrent à nous comprendre, la bienveillance avec laquelle ils nous écoutent et tentent de nous expliquer en quoi cela leur semble étrange, font de cette rencontre un vrai moment de pensée. Commune.