Que voit-on actuellement ? Par souci de sécurité, les interdictions et les annulations se multiplient, tout particulièrement dans le champ scolaire. On voit même les participants à des réunions de travail ordinaires se demander s’ils doivent bien se voir comme prévu. Autant il était compréhensible que l’ensemble du corps social marque un temps d’arrêt après vendredi, autant ce gel généralisé interroge.
Cela va au-delà du ton guerrier de nos dirigeants (dont les aspects sécuritaires inquiètent les plus modérés : cf. l’édito du Monde de hier lundi), cela dépasse les décisions politiques : l’ensemble du monde social est touché.
C’est inefficace et même contre-productif.
Inefficace car forcément partiel : les « rassemblements » ont lieu tous les jours dans les transports en commun, les salles de spectacle, les grands magasins, les tours de bureaux etc. Nous vivons dans un des endroits les plus denses de la planète, les tueurs n’ont que l’embarras du choix. De même, les mesures de contrôle sont dérisoires : le sac d’un tueur emmailloté d’explosifs peut passer sans problème au contrôle, les registres de signatures aux entrées des écoles ne protègent de rien.
Contre-productif car cela va dans le sens du rêve des terroristes : qu’on pense sans cesse à eux et qu’on soit sidéré, paralysé.
Notre travail, nos discussions, nos créations à l’occasion, cet ensemble indescriptible de relations et d’activités, cette richesse polyphonique, dans tous les domaines à l’école comme ailleurs, sont le contraire de la volonté de mort et du fanatisme religieux. C’est cela qu’il faut vivifier, au lieu de le restreindre.
Réfléchir, débattre, apprendre, s’exercer, créer, repolir chaque jour l’ancien et chaque jour faire naître du nouveau, affiner notre volonté de vivre : c’est le contraire de la haine, de l’étroitesse d’esprit, de la peur.
Et cela ne se fait pas tout seul, même s’il y a des temps de centration individuelle en apprentissage et des moments de création personnelle : c’est avec les autres, pour eux (comme public, partenaires, tuteurs, élèves…), en petit ou en grand groupe, dans des bâtiments ou à l’extérieur selon l’activité, que l’on construit notre humanité (et ses défauts aussi des fois) tous les matins.
Ces petits et grands matins de l’individuel/collectif sont la meilleure réponse aux apocalypses dont rêvent les suicidaires (« viva la muerte », disait déjà un général franquiste), ils sont aux antipodes des raidissements mimétiques d’une sécurité illusoire.