Dans le cadre de cette chronique « Émancipation et travail social », je voudrais présenter une réflexion qui va se poursuivre durant trois mois sur la question du handicap telle qu’elle se pose au sein de l’école. Elsa Avet (sociologue de l’éducation) montrera comment se joue aujourd’hui le rapport entre les pratiques éducatives et le médico-social qui fonctionne comme garant d’une expertise savante des comportements et des troubles scolaires.

Elle rappelle que l’école s’inscrit de plus en plus dans une perspective d’ajustement des individus aux fonctions sociales et professionnelles. Une telle perspective méprise, souligne Roland Gori, ce que tout enseignement digne de ce nom doit avoir pour mission : la formation de l’esprit critique. A partir de 2006, l’État intervient dans le champ de l’éducation avec la réforme scolaire autour de la mesure des compétences qui répond aux exigences économiques actuelles (efficacité, rentabilité, flexibilité) en introduisant des méthodes issues du management d’entreprise. L’évaluation est devenue systématique et généralisée pour répondre à une obligation de résultats au sein d’une concurrence internationale. Ce management pédagogique se fonde sur le courant des neurosciences et des théories comportementales en offrant des « remédiations pédagogiques » et des traitements permettant l’amélioration des performances cognitives. Une science de l’apprentissage se développe en lieu et place d’une réflexion sur les ressorts socio-économiques de l’échec scolaire et sur les conditions institutionnelles de l’exercice pédagogique lui-même. Ces pratiques préconisent en fait une adaptation aux lois du marché dans une civilisation médico-socio-économique de l’humain. Le secteur médico-social est amené à coopérer directement avec l’école et à offrir une large gamme de prises en charge individuelles. Sont ciblés les élèves dont les troubles font l’objet d’un repérage systématique dans le but de leur assurer un parcours de formation adapté. Dans cette logique, les dysfonctionnements et les anomalies comportementales peuvent être considérés comme prédictives de l’échec scolaire mais aussi de la délinquance et confirme la tendance vers une médicalisation massive et une politique sécuritaire consistant à normaliser les déviances comportementales.

Nous sommes bien loin de la démarche psychanalytique qui ne vise pas la réadaptation du sujet mais qui cherche à entendre le symptôme en le resituant dans sa dimension sociale et historique comme d’ailleurs des courants de l’éducation nouvelle dont la finalité est l’émancipation de l’enfant et pas seulement de l’élève. Elsa Avet rappelle à ce sujet que le savoir en lui-même n’émancipe pas ; c’est la co-construction du sens par la mise en place concrète des supports d’échange au sein de la classe et de l’institution et la prise en compte de chacun dans son interaction au groupe qui produit des transformations au niveau de l’apprentissage.

Romuald Avet