La complexité du traitement de la difficulté scolaire tient au fait qu’il n’existe certainement pas une raison unique à une telle situation. Le texte ci-dessous vise à émettre l’hypothèse que l’on peut distinguer au moins deux types de difficultés scolaires opposées. La réussite scolaire supposerait alors la maîtrise de deux curricula qui sont complémentaires, mais jusqu’à un certain point seulement.

Curriculum scolaire et curriculum intellectuel

Isaac Joshua a souligné qu’une évolution s’était faite du passage d’une école de la restitution à une école de la compréhension. Cela est en partie exacte. En réalité, l’école actuelle suppose la maîtrise des deux curricula.

L’école de la restitution correspond plus largement à l’apprentissage d’un curriculum scolaire. Ce curriculum comprend plusieurs dimensions:
l’élève doit se plier aux règles scolaires
– il doit apprendre à organiser son travail personnel
– il doit apprendre par coeur des leçons
– il doit apprendre des procédures par la répétition (exercices)
– il doit savoir les restituer

Ces exigences n’ont pas disparues. Elles ne font pas l’objet d’un apprentissage toujours explicite dans les classes moyennes supérieures, mais les dispositions peuvent en être acquises de manière plus ou moins implicites dans le cadre familial .

Mais à côté de ce curriculum scolaire, il existe un autre curriculum que l’on peut qualifier d’intellectuel. L’élève doit apprendre à:
faire des inférences et à chercher à comprendre
justifier son propos, argumenter ses choix
faire preuve d’un rapport réflexif, de type métadiscursif, aux savoirs
il doit apprendre à problématiser, conceptualiser, généraliser…

L’école actuelle articule donc ces deux niveaux de compétence: des compétences dits de bas niveau intellectuel et des compétences dit de haut niveau intellectuel.

Il est possible de prendre l’exemple de la lecture. Une bonne entrée dans la lecture présupposerait à la fois de connaître les lettres de l’alphabet par coeur et en même temps d’avoir un bon niveau de vocabulaire et de compréhension orale.
(voir à ce sujet: Negro Isabelle, Genelot Sophie, « Les prédicteurs en grande section maternelle de la réussite en lecture en fin de première année d’école élémentaire : l’impact du nom des lettres. », Bulletin de psychologie 3/2009 (Numéro 501) , p. 291-306 )

Deux causes opposées de difficulté scolaire

Parmi les élèves en difficulté scolaire, il est possible d’identifier deux types d’élèves à l’attitude opposée relativement à ces curricula.

Il existe des élèves qui ont avant tout des buts de performance. Ils veulent avoir des bonnes notes. Pour cela, ils se concentrent sur l’apprentissage par coeur des connaissances et veulent restituer des savoirs même si ceux là n’ont pas été bien compris.

A l’inverse, on peut remarquer que lors d’une épreuve d’explication de texte, certains élèves qui n’ont pas de connaissances de cours, peuvent mieux s’en tirer que ce type d’élève. Ils s’appuient sur une capacité à effectuer des inférences sur le texte en le mettant en relation avec leur mémoire sémantique. Dans le langage courant des enseignants, on dit de ce type d’élève “qu’il ne bosse pas, mais qu’il comprend bien”. A cet égard, le système scolaire néglige d’expliciter le lien qu’il y a entre une mémoire sémantique étoffée et la capacité à l’utiliser pour effectuer des inférences sur le texte dans les épreuves de compréhension et d’explication de textes.

Parmi ce second type d’élève, il en existe qui ont avant tout des buts de maîtrise. Ces élèves s’intéressent surtout à la compréhension du cours. Il tendent à négliger la dimension d’apprentissage mécanique (répétition) des informations et des procédures. Leurs difficultés ont donc leur source dans un manque d’organisation du travail personnel: apprentissage régulier des leçons, acquisition des procédures par des exercices… Ce qui explique par exemple pourquoi des élèves dits intellectuellement précoces peuvent être en échec.

Les enseignants s’étonnent parfois que certains élèves soient très vifs à l’oral et n’ont plus du tout les mêmes qualités lorsqu’il s’agit de rédiger. Il ne s’agit pas seulement d’une difficulté liée à la maîtrise du code scriptural et linguistique. La capacité à rédiger un texte argumentatif par exemple suppose une familiarité avec les textes écrits, par la lecture en particulier, et à effectuer, à partir de cela, des inférences sur le type de vocabulaire, les tournures de phrases, les formes de raisonnement… qui doivent être utilisés pour rédiger adéquatement.

Deux curricula antinomiques

Les élèves qui sont en réussite scolaire, en particulier les filles des classes moyennes supérieures, ont compris qu’il fallait qu’elles maîtrisent les deux types de savoirs curriculaires. Elles doivent effectuer un travail de répétition mécanique, mais elles doivent également comprendre. Les deux sont indissociables.

Les élèves doivent à la fois avoir des buts de maîtrise et des buts de performance. Les buts de maîtrise constituent alors des conditions de possibilité des meilleurs performances.

Mais ces deux activités ne sont pas toujours complémentaires et elles peuvent à un certain niveau entrer en relative contradiction.

Les élèves les plus performants s’aperçoivent qu’ils peuvent gagner en efficacité et donc en rapidité sur les tâches mécaniques en organisant l’information en amont avant de l’apprendre mécaniquement. Ils utilisent donc la compréhension pour optimiser l’apprentissage par coeur.

Mais la recherche d’efficacité peut entrer en contradiction avec l’engagement dans la tâche que suppose les buts de maîtrise. En effet, l’élève qui est passionné par une matière ne cherche pas à être le plus efficace en y passant le moins de temps possible. Ce dernier peut donc perdre en efficacité dans la réalisation d’une performance en temps limitée.

A l’inverse, le système scolaire (mais aussi universitaire et les concours) exige des élèves la restitution d’informations quantitativement importantes qui supposent même pour un expert dans le domaine un travail de “bachotage” pour les restituer. La difficulté, c’est qu’ensuite ces informations sont aussitôt oubliées après avoir été apprises.

Le système d’enseignement envoie donc un double message contradictoire aux élèves. Il leur dit à la fois qu’ils ne doivent pas se donner comme ultime objectif la restitution mécanique d’information, mais en même temps, il les contraints à apprendre mécaniquement des informations qui seront oubliées après l’épreuve.

Il entretient la confusion chez un certain nombre d’élèves conduisant à de l’échec scolaire. Les plus nombreux pensent que le système attend d’eux qu’ils restituent des connaissances. Certains élèves pensent au contraire que l’objectif est surtout de comprendre, mais peuvent négliger à l’inverse le curriculum scolaire.

Conclusion:
Il est sans doute nécessaire pour diminuer l’échec scolaire des élèves de mieux articuler ces exigences pas toujours compatibles entre elles. Il faudrait à cet effet que les enseignants, plus que sur la quantité d’informations qu’ils transmettent, se concentrent sur leur structuration logique. Cela peut permettre de pallier les difficultés contradictoires de deux types d’élèves . Pour les élèves qui privilégient la compréhension, cela soulage en partie leur travail de mémorisation. Pour les élèves qui tendent à la restitution mécanique des connaissances, cela les aide à aller vers un travail de révision qui repose davantage sur la compréhension des connaissances que sur une simple répétition.