Tout au long de l’été, nous vous proposons de suivre les chroniques de Véronique Decker “Enseigner dans la 93”

Architecture

La banlieue parisienne a été le laboratoire de mille architectes aux discours ébouriffants et aux réalisations discutables. Les écoles n’ont pas échappé à leurs tatonnements expérimentaux, aux plans hâtifs, et dans la totale incompréhension de ce que sont les enfants, voire même les êtres humains.
Il y a eu la mode stalino-gaulliene des « groupes scolaires » gigantesques, dans lesquels on pouvait faire tenir jusqu’à 28 classes de 35 élèves, totalement anonymés par le nombre, imposant une discipline militaire. Il y a eu la mode soixante huitarde des « écoles ouvertes », où toute cloison était bannie, où l’organisation des pièces imposait un « déloisonnement » même aux enseignants qui n’en voulaient pas, et au milieu desquels les pleurs d’un seul enfant pouvaient gèner cent personnes d’un coup. Il y a eu la mode des « écoles intégrées » utilisant pour pas cher les rez de chaussée des cités dont on ne sait jamais quoi faire, où le bruit de la récréation, se réverberant dans un amphithéâtre de tours de 15 étages pouvait exaspérer plus de mille personnes d’un coup. Désormais on est aux écoles « concentrées », construites sur une surface minimale, avec des cours de récréation carcérales dans lesquelles personne ne peut courir, des salles de classes calculées plus juste que les normes d’élevage des poulets bio. Et sur lesquelles les parents s’extasient car des « tableaux blancs interactifs » sont connectés en wifi dans toute l’école. Comme si l’interactivité dont les enfants ont besoin pouvait être satisfaite par une machine.
Rarement en banlieue on a pris en compte les besoins réels des enfants, et jamais un maire n’a accepté de reconnaître ses erreurs : que ce soit pour l’amiante floquée, enlevée tardivement, uniquement au moment où la loi l’impose, et sans prévenir personne, comme pour l’amiante ciment, dont la loi n’impose toujours pas le retrait et qui reste très présente dans les toitures « fibrociment » (la fibre qui est dans le ciment) et dans les sols « dalami » (ami pour amiante et par pour dire qu’on est ami), et dans les colles, les joints, les bords de fenêtres, les cloisons….que ce soit pour des architectures idiotes qui gênent parfois considérablement les apprentissages des enfants et obligent les enseignants à une relation d’adjudant, sinon comment faire monter 7 classes de CM1 et CM2 au second étage sans qu’ils ne s’embrouillent un peu ?
J’hésite à décerner une palme d’or : entre la maternelle Picasso de Montreuil, dont la cour de récréation est couverte d’un grillage car les habitants de la cité lançaient des canettes et des couches pleines sur les enfants en récréation, la maternelle Robespierre de Bobigny tout en amiante mur et toit, l’école Firmin Gémier d’Aubervilliers et ses 18 classes, …ce sont des centaines d’écoles qu’il faudrait reconstruire entièrement pour que les enfants puissent vivre normalement. Mais tout de même le souvenir de Picasso où les couches pleines se décomposaient lentement sur le grillage au dessus de nos têtes reste vif après plus d’un quart de siècle.