Dans une note du 21 juin 2015, Bernard Collot feint de s’interroger sur la nécessité du baccalauréat et la possibilité de le remplacer par un « bilan de compétence. » Cette réflexion est loin d’être une nouvelle révolution pédagogique, mais, au contraire, elle s’inscrit parfaitement dans l’air libéral du temps. B. Collot laisse (volontairement?) de côté des éléments essentiels à toute réflexion sur l’École et sa finalité.

1. L’École n’est pas déconnectée de la société dans laquelle elle s’inscrit.

Au moment où le gouvernement insiste sur le retour à la morale laïque et valorise l’Ecole de la IIIe République, aucune analyse – un peu sérieuse – de l’Education nationale ne peut faire l’impasse sur la nature de la société qui entoure l’Ecole à un moment donné.

L’Ecole de Jules Ferry répond à un double enjeu. D’une part, créer une « Ecole de la République » tant contre « l’Ecole des Curés » que contre « l’Ecole du Peuple ». D’autre part la volonté de revanche contre les Allemands. Ferry n’agit pas par philanthropie, mais dans un but bien précis : maintenir une jeunesse docile, habituée à obéir et à respecter les ordres, que ce soit ceux des patrons ou des adjudants. Le système éducatif supérieur (le lycée) est limité essentiellement aux enfants des petite, moyenne et grande bourgeoisie. Ce but restera jusqu’à la première guerre, puis dans l’entre-deux guerre et commencera à changer à la fin de la 2e guerre mondiale.

Autour de Mai 1968, la finalité de l’Ecole est remise en question. L’explosion du nombre de bachelier (en valeur absolue) lié au baby-boom (même si 20% seulement d’une génération décroche le bac). Le patronat a besoin d’une main d’œuvre plus qualifiée, Mai 68 inscrit un rapport de force positif pour les salariés et les gouvernements vont suivre cet état de fait. Le baccalauréat sera une référence dans les conventions collectives et par la même il s’inscrit durablement comme un rempart face au patronat.

Mais de nombreux rapports et lois vont fleurir tout au long des années 1970 (cf. L’Ecole de Jules Ferry est morte) pour expliquer la nécessité de mettre en place un « bilan de compétence individualisé. » Si les années 1980 connaissent un petit répit (il y aurait à écrire sur le mépris de classe que représente la création du bac professionnel en 1985, mais il représente néanmoins une avancée pour les jeunes inscrits dans ces filières). Les années 1990-2000 vont marquer le retour des « compétences individuelles » et la loi de 2005, qui met en place le socle commun de compétences n’est que la consécration de trente ans d’attaques, dont B. Collot n’est que le dernier avatar. Mais, là encore, c’est un recul lié au recul du rapport de force.

2. De la valeur collective du baccalauréat

Ce qui fait la valeur du baccalauréat, comme de tous les diplômes, n’est pas le nombre de titulaire, ni même son contenu (c’est à dire la somme des compétences qu’il est sensé représenter) mais le rapport de force qui le soutien. Un exemple frappant est celui de l’école normale supérieure qui ne délivre un diplôme à ses anciens élèves que depuis quelques années. Avant cela, les jeunes qui sortaient de l’ENS n’avait que le statut « d’ancien élève de l’ENS » ce qui était largement suffisant. Ces jeunes n’avaient ni besoin de diplôme, ni de bilan de compétence…

Alors pourquoi défendre le diplôme ? Tout d’abord, on ne défend pas le diplôme du bac en tant que tel. Et B. Collot a tout à fait raison de s’indigner que toutes les années d’études sont en avant dernière instance des années de bachotage stérile (je crois – pour ma part – que les années d’étude sont en dernière instance un moyen pour le système d’apprendre l’obéissance aveugle à des générations entières de jeunes, même s’il y a d’autres but avant cette dernière instance). De même que l’on ne défend pas les programmes annuels pour ce qu’ils sont (c’est à dire une course – perdue d’avance – entre les élèves contre le temps qui passe).

La défense du baccalauréat et de son décorum (anonymat des copies, épreuve de philosophie en premier, notation, délibérations, rattrapages, etc.) ne peut se comprendre que parce qu’il représente un élément du rapport de force entre un employé et son patron. Bien sûr, il s’agit également de défendre le rite de passage qu’il représente (en tant que premier diplôme de l’enseignement supérieur), mais cet aspect pourrait se concevoir avec d’autres formes concrètes plus ou moins égalitaires (passage pour tous, contrôle continu, mérite, argent…). A ce titre, il existe des pays où la fin des études secondaires et l’entrée dans l’enseignement supérieur sont clairement distinct. Ce débat revient régulièrement en France (notamment via la question de la sélection/orientation en fin de terminale et/ou à l’entrée dans le supérieur).

On défend donc le baccalauréat, non pas pour lui-même, mais parce qu’il s’inscrit dans la société de classe où nous sommes et donc parce que dans l’histoire les diplômes ont été des supports pour des acquis sociaux en terme de salaire minimum, de reconnaissance d’une certaine valeur de la force de travail (et donc d’une augmentation de cette valeur lorsque le diplôme augmente – ce qui, en soi, est fortement discutable). Là encore ce n’est pas le diplôme qui crée la valeur (voir l’exemple des anciens élèves de l’ENS), mais le rapport de force entre les classes qui utilise la médiation du diplôme pour arracher un « acquis » sur le long terme.

Rien d’étonnant donc que dans une situation où le rapport de force se dégrade, il y ait une remise en cause de cet acquis (comme tant d’autres). Il n’est donc pas étonnant que les gouvernements ne parlent plus de 80 % d’une classe d’âge au bac, mais de 50 % d’une classe d’âge à la licence… Dans ce contexte, il ne s’agit ni de jeter le bébé avec l’eau du bain, ni de garder l’eau sale pour laver les bébés suivants.

3. Le baccalauréat n’est ni un problème… ni une solution à l’école.

B. Collot prend donc le problème à l’envers lorsqu’il écrit :

« En supprimant le bac, c’est tout le système en amont qu’on libèrerait, jusqu’à la maternelle. »

Le système scolaire est captif du système social. Ce premier doit donc fortement contribuer à reproduire les classes sociales de ce dernier, tout en laissant une possibilité d’ascenseur « républicain » pour un petit nombre de jeunes. Ce qui légitime l’impartialité du système et faire reposer les raisons de l’échec scolaire sur ceux et celles qui en sont victimes.

Le baccalauréat n’est pas un verrou, mais un élément (de plus) dans un système scolaire oppresseur. Si l’on poursuit la réflexion de B. Collot jusqu’au bout, alors, il faut en finir avec les filières (générales, technologiques et professionnelles) au lycée, qui limitent les possibilités et l’avenir des jeunes pour un enseignement polytechnique et pluridisciplinaire. Au delà du lycée, il faudrait un véritable collège unique, qui ne serait pas pensé comme un petit lycée. Il faut en finir avec les programmes annuels (ou par cycle) imposé aux jeunes pour avoir une véritable réflexion sur les désirs, les envies tant des jeunes (individuellement) que les nécessités sociales qui leurs sont – dans cette société – extérieures ; il faut en finir avec toute forme de notation et d’orientation pour lui préférer un système d’évaluation régulier – à la demande des jeunes – où le droit à l’erreur et donc à la ré-évaluation est permis. Dans cette optique, en finir uniquement avec le baccalauréat ne libérerait rien du tout.

En réalité, de nombreux-ses militant-e-s pédagogiques, syndicaux et politiques (et même non-encarté-e-s) ont réfléchi aux finalités de l’école et aux moyens de changer d’école. Il existe déjà des classes ou des écoles coopératives et même quelques collèges et lycées, dont la finalité n’est pas le taux de réussite au bac (et le bachotage que cela induit). Ces établissements ne s’inquiètent pas de la réussite (au sens scolaire du terme), mais de l’émancipation, de l’épanouissement personnel, sans mépris, ni condescendance. C’est sans doute par là qu’il faut commencer à regarder pour modifier l’Ecole dans notre système.

4. Une autre Ecole est possible… dans une autre société

Le problème n’est pas de passer seulement « une année toujours dans le système éducatif mais libérée de toutes contraintes, de tout stress, de toute sanction (spectre de l’échec) ou récompense fallacieuse (un papier), » comme le rêve B. Collot, mais de passer toute sa scolarité libérée de toutes contraintes, de tout stress, de toute sanction. Pour le dire vite, que la scolarité soit entièrement dédiée à l’émancipation et l’épanouissement individuel et collectif.

Si on imagine une société sans classe sociale, une société qui définirait collectivement ses besoins et les moyens de les pourvoir, il est évident que l’Ecole devrait impérativement être le reflet de cette société. Cette Ecole Nouvelle, qui se construirait sur les ruines de l’Ecole actuelle, repenserait entièrement le rapport enseigné/enseignant. L’apprentissage y serait collectif et l’autorité du maître ne porterait que sur les éléments de savoir qu’il/elle apporte. Et encore : même cela pourrait se discuter. Il n’y aurait plus de hiérarchie imposée, de division entre ignorants et savants, entre travail manuel et intellectuel. Dans cette société, les diplômes, les programmes annuels, la déconnexion entre accumulation de savoir et orientation professionnelle n’aurait aucune raison d’être. Et – en toute rigueur intellectuelle – n’existerait pas. Voilà une bonne façon de penser la fin du bac. Voilà le verrou qu’il faut casser.

Faut-il attendre le Grand Soir pour qu’au petit matin l’école ait changée ? Non, certainement pas. Un certain nombre d’enseignants, de pédagogues, d’éducateurs, etc. œuvrent tous les jours pour le changement de l’Ecole, pour la destruction de la Société actuelle. Et cela, tout en défendant les acquis sociaux du passé et en se battant pour de nouveaux.