Sur son blog, Bernard Collot réagit aux débats sur la réforme…
Ce n’est pourtant qu’une réformette… qui comme toutes les autres tentatives toutes avortées et combattues depuis plus d’un siècle doit, parait-il, « abaisser le niveau ! »
Dans ce cas précis, la ministre n’a pas caché qu’elle s’était inspirée de ce que faisait depuis quelques années le collège de Clisthène à Bordeaux, collège en zone défavorisée dont les résultats sont parmi les meilleurs de la Gironde ! Ce que se garde bien de regarder le flot de détracteurs patentés, ce que se garde bien d’informer la presse faiseuse d’opinion[1].
Je pense que la ministre n’a pas tort en suggérant que tous ces privilégiés cramponnés au confort de leur situation sociale ne verraient justement pas d’un bon œil de voir s’élever le niveau d’une population traitée avec condescendance de défavorisée, ce d’autant que dans l’élévation du niveau il y a celle de la pensée critique, de la pensée autonome.
De tout temps la transformation de l’école a été combattue avec hargne par l’extrême droite et la droite (du temps de Freinet c’était l’Action française répandant ce qu’elle pouvait trouver de plus infâme), mais de tout temps aussi la gauche s’y est bien peu engagée, n’a soutenu que du bout des lèvres toute petite velléité de réforme progressiste, voire les a elle-même torpillées (du temps de l’affaire Freinet la position du parti communiste comme celle de la SFIO n’a pas été très honorable !). On retrouve exactement les mêmes arguments, parfois les mêmes phrases.
Et pourtant, il y en a eu des tentatives ! Maths modernes, tiers-temps pédagogique, disciplines d’éveil, réforme des cycles… Toutes abandonnées ou avortées avant d’avoir même été mises en route, avant que l’on puisse en tirer le moindre enseignement, en voir le moindre effet, immédiatement détricotées ou vidées de leur essence. Tous les bien pensant se livrent éhonteusement à une véritable escroquerie intellectuelle en faisant croire que ce seraient des « pédagogistes » ou « pédagogos » qui auraient… abaissé le niveau. La toute petite minorité d’enseignants, tous isolés, qui essaient de pratiquer la pédagogie Freinet peuvent témoigner qu’il leur est même impossible de vraiment la mettre en œuvre dans un système qui les rejette.
Mon fils est au collège. C’est exactement comme dans le cours complémentaire où j’étais, il y a soixante-cinq ans ! Rien n’a changé en dehors du format des cahiers, du nom du directeur devenu principal, du nom des pions devenus assistants d’éducation. C’est comme si en médecine on pratiquait toujours systématiquement et pour tout la saignée. C’est d’ailleurs bien une saignée qui est opérée.
Escroquerie intellectuelle dans le sempiternel mieux avant (réitéré au cours des siècles), dans l’école ascenseur social, dans l’école libératrice, dans le c’est grâce à l’école que je suis… (demandez donc à un chômeur, à un SDF, à une caissière d’une grande surface… si c’est grâce à l’école !)
Autrefois, le problème d’un simulacre d’égalité dans une soi disant excellence ne se posait pas, les chemins de chacun étaient tracés par les positions sociales : le fils de paysan devenait paysan ou ouvrier agricole, le fils de commerçant ou d’artisan devenait commerçant ou artisan, le fils d’ouvrier devenait ouvrier, les meilleurs pouvaient devenir petits fonctionnaires, quelques-uns étaient extirpés pour rejoindre les privilégiés des études et faire croire aux bienfaits de la sélection par la méritocratie. Et cela arrangeait bien tant qu’il y avait du travail pour répartir le troupeau. Et cela arrangeait bien quand les élites pouvaient envoyer le troupeau docile et résigné à l’abattoir de 14-18, le faire collaborer au régime nazi, accepter l’esclavage salarié… Beaux résultats de la soit disant excellence regrettée !
Admettons que l’on puisse comprendre la réaction de la minorité qui a tiré son épingle du jeu (pour la plupart de par les privilèges d’une position sociale transmise) et qui se prend pour une élite avec son pouvoir, élite incapable d’inventer la moindre solution aux problèmes d’une société qu’elle dirige, admettons que l’on puisse comprendre la passivité de la majorité, formatée par l’école, qui ne peut que croire ce qui lui est massivement et quotidiennement seriné.
Mais la réaction majoritaire du monde enseignant est plus difficilement compréhensible.
Que de hauts cris parce que tel prof risquait d’avoir un tout petit peu moins de temps pour distillé ses leçons, parce qu’il allait falloir s’entendre avec des collègues pendant trois toutes petites heures pour des projets transversaux (où, bien sûr, les élèves ne feraient que s’amuser et perdre leur temps !), parce qu’au lieu de quelques classes bilingues ce sera la deuxième langue un an avant pour tous (d’ailleurs, si les classes bilingues, si bien pour quelques-uns, avaient été généralisées pour tous, on aurait entendu les mêmes protestations, probablement par les mêmes aussi), des « humanités » qui disparaîtraient (peu importe si on ne se préoccupe pas de ce qui permet aux enfants d’aborder les dites humanités), etc. Tout en sachant que, comme pour toutes les réformes un petit peu progressistes précédentes, la majorité s’assoira gaillardement dessus… et continuera de crier que… le niveau baisse… à cause de réformes… qu’elle n’aura pas appliquées ou vidées de leur substance ! On peut s’attendre à ce que les enfants mangent encore plus de soutien scolaire identique à ce qui les a mis en difficulté, que dis-je, qui ont mis, eux, en difficulté le système et ses pratiques ancestrales. En somme tout ce qui peut changer un peu (un tout petit peu) les habitudes est rejeté avant même d’avoir été essayé. Une mini-réforme qui fait appel à un peu d’initiative collective, donc à une prise de risques, quelle horreur.
N’importe quel médecin se tient au courant des avancées de la médecine, des nouvelles pratiques de ses confrères, ne démolit pas (ne démolit plus ou démolit moins) les médecines différentes, sait l’importance de tous les paramètres environnementaux et sociaux qui influent sur la santé, etc. Il ne reste pas dans l’ignorance et sur ce qu’il a seulement appris à la fac de médecine. Et bien pas le monde enseignant.
On pourrait penser que tout ce que les neurosciences et la systémique ont mis au jour ces dernières décennies, que toutes les pratiques différentes qui ont fait leurs preuves depuis un siècle, devraient amener les profs à chercher dans toutes les propositions ministérielles ce qui permettrait de le prendre un peu en compte. Pas du tout. Tout est rejeté systématiquement.
Comment expliquer cet immobilisme forcené ? Je ne mettrai pas en doute la volonté de la majorité des enseignants de faire au mieux avec tous les enfants et adolescents, de vouloir leur élévation, leur émancipation. Mais quand manifestement le système éducatif n’y arrive pas, y arrive de moins en moins, comment peut-on refuser de le voir changer, un tout petit peu ? Ce n’est jamais la bonne réforme proposée d’en haut. Je veux bien, mais entend-on une autre réforme proposée d’en bas, débattue par les enseignants eux-mêmes dans ce qui devrait regrouper une profession ? Non.
Il est vrai que les enseignants sont des fonctionnaires, ne constituent donc pas une profession chargée d’une mission et pouvant donc discuter de la finalité de cette mission avant de l’accepter et de définir comment elle pourra l’atteindre. L’Education nationale est une énorme machine dont la finalité n’a jamais été vraiment débattue par ceux qui la subissent et par ceux qui y opèrent. Cette finalité reste floue, incertaine, variable, pas identique pour tous. Peut-être est-ce là le vrai problème qui fait peur, auquel personne n’ose s’attaquer parce qu’on subodore, à juste titre, qu’on ne peut séparer une vision éducative d’une vision sociétale, ce qui expliquerait l’immobilisme.
Faut-il attendre le dernier stade de la maladie (scolaire, sociale, sociétale), quand tous les remèdes allopathiques (que l’on n’arrive plus à trouver) se sont révélés inefficients voire néfastes, pour envisager que c’est ce que l’on vit et fait vivre qui est la maladie ? Je crains qu’il soit de plus en plus trop tard.
[1] Voir par exemple les titres fracassants si ce n’est nauséabonds de Marianne.