Un article de Martine Plisson présenté par Frank

Maria Montessori fait partie du mouvement de l’Ecole Nouvelle créé après la première guerre mondiale, qui s’appuyait sur les récentes découvertes dans le domaine de la psychologie. Les pédagogues de cette époque défendaient certains principes communs : le respect de l’enfant, la coopération, le tutorat entre pairs, les méthodes actives, une égale importance pour les différents domaines intellectuels, artistiques, manuels, physiques…
A l’exception de célestin Freinet, les pédagogies issues du mouvement de l’école nouvelle, sont restées à la marge de l’éducation nationale. Une expérience menée à la Villeneuve de Grenoble de 1973 à 1989 et celle de Vitruve (Paris 20e) encore en vigueur, permirent de faire vivre une recherche-action s’inspirant de différentes pédagogies alternatives.
Aujourd’hui, le rejet massif de l’école sélective, compétitive et pointée du doigt par des enquêtes internationales, laisse émerger des aspirations pour une éducation alternative. Une vidéo très bien faite circule sur la toile et montre une expérience menée par une jeune professeure des écoles, Céline Alvarez, dans une école maternelle publique à Gennevilliers. On y présente une classe Montessori dont la méthode « actualisée » séduit tous ceux qui aspirent à une éducation alternative où l’enfant est respecté dans ses besoins et ses rythmes et où un matériel riche et de qualité permet une réelle autonomie des jeunes enfants. Et, cerise sur le gâteau, on nous montre des enfants de 5 et 6 ans qui savent lire et compter !! L’expérience s’est arrêtée brutalement et des deux côtés les explications sont assez vagues. On accuse bien sûr l’éducation nationale de rejeter vers le privé ce genre de pratique alternative…
Pas si simple ! Tout d’abord, l’enseignante affirme sur Lemonde.fr que son intention était la suivante : « infiltrer le système et parvenir à le changer, pas pour enseigner. Je me laissais trois ans pour proposer un environnement de classe faisant l’effet d’une bombe pédagogique ». Son projet est « soutenu » par l’association Agir pour l’école, liée au Think tank Institut Montaigne. Celui-ci est financé par plus de 80 entreprises, telles que Total, Areva, EADS, Vivendi, Axa, RATP… Un budget qui frise les 3 millions d’euros. La force de frappe de ce think tank n’est pas seulement financière. Sa proximité avec de puissantes entreprises qui apprécient d’être valorisées par des actions sociales, éducatives ou écologiques, lui permet d’influer sur les décideurs politiques, de droite comme de gauche.
La stratégie de ce think tank classé à droite n’est pas de développer des pédagogies alternatives. Loin s’en faut ! Selon son directeur, Laurent Bigorgne, il s’agit d’ « encadrer la liberté pédagogique » en proposant des « outils pédagogiques » évalués de façon scientifique. Il prône même un « recentrage sur les fondamentaux cognitifs » dès 5 ou 6 ans.
Et pour donner une valeur « scientifique » à son projet, l’Institut Montaigne s’appuie sur les recherches en sciences neurocognitives menées par le très reconnu Stanislas Dehaene, psychologue cognitif et neuroscientifique et professeur au Collège de France, que le think tank ne manque pas de mettre en avant dans ses différents articles et publications sur l’éducation. La psychologie fait place à la science…
On comprend mieux le malaise de l’Education Nationale ! Et celui des enseignantes de cette école, non consultées pour la mise en place de ce projet au sein de leur établissement. Avec une classe transformée en laboratoire, un matériel et un mobilier spécifique, une dérogation pour les activités obligatoires (récréation, motricité…), une classe multi-âges en nombre réduit, une personne choisie par l’enseignante Céline Alvarez pour l’aider dans sa tâche….et une expérience non partagée en interne mais diffusée largement sur internet !
Après l’arrêt de l’expérience, Céline Alvarez (militante ou faire-valoir de l’Institut Montaigne ?), continue sur le site Classe maternelle, Genneviliers de partager avec nous les résultats des récentes expériences de S.Dehaene sur la plasticité du cerveau….histoire de nous convaincre de la nécessité d’apprendre à compter et à lire dès le plus jeune âge…
Mais était-il vraiment question d’introduire la pédagogie Montessori dans l’école publique ? Avec un peu de logique, on imagine mal l’AMI (Association Montessori Internationale) abandonner le commerce lucratif de la formation et du matériel Montessori à l’Education Nationale ! Dans ce cas, quel est l’objectif de l’Institut Montaigne ? En nous montrant cette classe idéale, est-ce qu’il n’utilise pas la « marque Montessori » comme un « produit d’appel » pour nous vendre un autre produit ?
Ah ! Si Maria Montessori voyait ça ! Sans doute nous conseillerait-elle de nous (acteurs sur le terrain : enseignants, animateurs, parents, intervenants culturels, associations, élus…) rassembler et constituer un mouvement de pédagogie alternative pour réfléchir, expérimenter et théoriser une Recherche-Action vivante et sensible, qui intègre le tâtonnement, le doute et l’erreur… Sûrement pas une pédagogie scientifique !
Martine Plisson
Le 27 février 2015