[rouge] « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront » [/rouge] [rouge](René Char)[/rouge]

Quelles sont les conditions, quelles sont les situations qui expriment l’homme, la personne? Comment allons nous apprendre à devenir nous mêmes dans un environnement qui nous pousse à la prudence , à la suppression de tout risque et à la conformité et l’appauvrissement des modèles de réussite?

Ceux qui ne parviennent plus à trouver de place dans un système économique, social, culturel et politique, semblent osciller entre deux manières de retarder une prise de conscience inévitable.

Ou bien ils semblent retarder encore et toujours le moment de la prise de conscience de leur extériorité et de leur exclusion; ils voyagent, retardent leurs projets , remettent à plus tard de se confronter à un problème dont ils ne voient pas le début d’une première solution. Plutôt que de se sentir exclus, ils préfèrent se sentir jeunes, pas encore concernés … et, ce, de plus en plus tard . Tout pseudo statut de jeunesse est le prix de consolation de ceux que l’on a rejetés. Il serait encore trop tôt… Dans un an peut être, on se mettra à rechercher quelque chose, …dont on sait qu’on ne le trouvera pas.

Ou bien , d’autres , plus âgés, font eux, semblant que rien n’aurait changé depuis leurs rêve sde jeunesse, leurs premiers plans ; à l’inverse des premiers, ils anticipent leur fin; ils attendent et comptent les jours qui les séparent dune retraite improbable. Ou bien encore, ils excusent leur inachèvement en se projetant sur la génération d’après. Ils se précipitent dans le renouvellement des générations. Ils ne souhaitent que conclure au plus vite, un chapitre dont ils n’ont pas trouvé la fin.

Entre ceux qui ne veulent (peuvent) plus y rentrer et ceux qui veulent en sortir au plus vite, nous,voici pris dans un système social, économique et éducatif que plus personne n’habite et dans lequel plus personne ne croit.

Mais le statut d’extériorité a touché ses limites; il ne peut y avoir plus longtemps et pour longtemps encore absence de vie, absence d’implication, absence d’habitation. On ne peut toujours être en vacances de soi; on ne peut pas toujours vivre entre parenthèses. On ne peut pas toujours retarder le projet de soi même.

Alors on doit inventer de nouveaux verbes pour contourner les empêchements de tous les jours. Ceux qui n’ont plus de lieu pour habiter vont devenir des sur-habitants. Ils vont occuper tous les espaces libres, s’accrocher à la moindre friche. On les traitera de nomades tandis qu’ils reviendront toujours dans les mêmes endroits d’où on croyait les avoir exclus.

Et il en est de même de ceux qui ont été rejetés de la réussite scolaire, de ses parcours et de ses cursus sibyllins; ailleurs, ils vont devenir des « sur-apprenants » ; ils vont apprendre une , deux , trois langues différentes; ils vont apprendre à vivre et à survivre en milieu hostile. Ils s’astreindront à lire et à écrire tous les jours le peu qu’ils déchiffrent; avec les mots qui leur manquent ils vont écrire notre histoire de demain.

Et il en est encore de même de tous ceux quo’n a exclus des institutions, qu’on a tenus éloignés de tout lieu de pouvoir, d’installation, d’autorité et de légitimité. Ils ont été soigneusement écartés des institutions, auxquelles ne s’accrochent plus que ceux qui veulent en faire leur radeau, leur planque, leur retraite . Et bien ce n’est pas grave; ils vont sur-instituer tous les moments qui comptent. Moments de rencontres, de partage, d’amitié; moments arrachés au vide et à la normalité. Moments de surprise, moments de création, moments de vie parfois trop débordante…

Et voici que ce qui était extérieur , périphérique et exclu devient justement le centre, là où tout se passe , là où on s’invente; Il y a une pédagogie pour cela; c’est celle du moment de la rencontre et du risque. Elle est le contraire de ce qu’on nous a vendu; elle est le nécessaire car elle est ce qui manque.

Extrait de la lettre d’Albert Camus à René Char:

[fuchia]« Je parle d’abord pour moi qui ne me suis jamais résigné à voir la vie perdre de son sens, et de son sang. A vrai dire, c’est le seul visage que j’aie jamais connu à la souffrance. On parle de la douleur de vivre. Mais ce n’est pas vrai, c’est la douleur de ne pas vivre qu’il faut dire. Et comment vivre dans ce monde d’ombres? »[/fuchia]

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Association Intermèdes-Robinson