Deux articles publiés ce mois-ci dans le Combat syndicaliste, le journal de la CNT fevrierok_glisse_e_s_.pdf Témoignage d’enseignant en collège, au lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo. Et réflexion sur le rôle de l’école. Depuis le mercredi 7 janvier 2015, c’est le bordel. Face à « l’union sacrée » des hypocrites, sur qui Charlie Hebdo crachait, on assiste aux témoignages d’enseignants désabusés, qui ne comprennent pas que certains élèves des quartiers populaires nous disent « Charlie Hebdo, mais ils l’ont bien cherché ! ». N’oublions pas que la très large majorité des élèves ne s’expriment pas sur le sujet. On n’entend que les grandes gueules bravaches. Je suis enseignant d’histoire-géo et d’éducation civique en collège. Sur deux établissements, un collège plutôt rural et un collège de quartier en REP +* et j’ai assisté à différents types de réactions. Principes de justice Dans le collège rural, la mixité sociale est limitée plutôt classe populaire. J’ai terminé le chapitre sur la Justice puis celui sur les Lumières. Principale réaction : « On va quand même pas respecter les principes de la justice pour ces salauds ! » [C’est à dire les frères Kouachi]  Ici encore, la très large majorité des élèves sont restés muets. Je leur ai montré des Maurice et Patapon, des dessins de Cabu (anticléricaux, etc.) et on s’est finalement bien marré. L’objectif était alors de leur faire comprendre qui était Charlie et du coup de débattre de la question des libertés et de la victoire que constituerait, pour ces fascistes, le renoncement à la présomption d’innocence, le droit à procès équitable, etc. Ca semble s’être bien passé, du fait notamment que je n’avais pas d’élèves se réclamant de la confession musulmane. Se boucher les oreilles Dans le collège de quartier populaire, changement de décor. 32 nationalités différentes et environ 90 % des élèves qui se disent musulmans et rien que des classes populaires. Pas de classes moyennes et encore moins de classes supérieures. C’est à l’image du quartier. Quatre à cinq élèves allophones dans chacune de mes classes, dont un Irakien arrivé il y a quatre mois, un Syrien arrivé il y a un an (silencieux tous les deux, car beaucoup trop douloureux), des Tchétchènes, un Malien (13 ans) qui m’a sorti il y a trois mois, à l’occasion du chapitre sur l’islam au Moyen-Age : « De toute façon, tous les juifs sont racistes et je sais que j’ai raison ». Il se bouchait les oreilles à chaque fois que le mot juif était prononcé. Des propos que je n’ai pas laissé passer et qui m’ont pris 40 bonnes minutes à déconstruire. Je passe les discours homophobes et les contestations de savoirs établis (l’évolution, entre autre). Le chapitre sur les discriminations et l’identité a permis de mettre un peu de plomb dans la tête mais si peu. Je m’y attendais donc et c’est sorti, comme prévu : « Ils l’ont bien cherché ! », « On touche pas au prophète ! ». Pourquoi ces propos ? « Connais toi, toi-même » Il y a tellement d’aspects à prendre en compte. Commençons quelque part. Le chapitre sur l’islam m’a révélé qu’en réalité la très large majorité, si ce n’est la totalité, des élèves musulmans de mes classes ne connaissent pas leur religion. Les piliers ne sont pas connus (même des allophones). Par exemple, la quasi-totalité de ces élèves a découvert que ce n’était pas l’alcool qui était interdit, mais l’ivresse. Il y a donc une certaine inculture religieuse. Ils sont musulmans parce que leurs parents le sont, et vont à la mosquée comme ma grand-mère à l’église : par tradition. Un bled de fantasme A cela il faut, je crois, ajouter un vision fantasmée du bled et de la pratique religieuse au bled. Certains se montrent plus blédard que les blédards. Le Malien de la classe n’a vécu au Mali que jusqu’à ses cinq ans. Pourtant, à chaque fois que le Mali est évoqué, il lève les bras au ciel, fait des clins d’œil, « Big up, Mali représent’ ». Dessin, humour, terra incognita Un autre élément que cette histoire m’a montré c’est leur incapacité à décrypter un dessin humoristique. Exemple d’un dessin de Charb avec ce texte : « Le Coran, c’est de la merde… ça n’arrête pas les balles. » La plupart des élèves musulmans n’a vu que la première partie du texte. Le second degré leur est complètement étranger : c’est un problème d’éducation à l’image et à la caricature. Le programme correspond exactement au volume horaire de l’année scolaire entière, évaluations, sorties scolaires, absences et jours de neige non compris. Alors de l’éducation aux médias et aux dessins de presse, vous pensez… A cela s’ajoute aussi la disparition de la presse écrite (ou des journaux satiriques) des milieux familiaux populaires (gamin, j’avais facilement accès à Charlie ou au Canard Enchaîné). L’échec consommé de l’école républicaine Depuis le 7 janvier, qu’est ce que nous prenons sur le dos, nous les enseignants! Notre rôle ? Comment peut-on aborder le sujet avec les élèves? Faut il renforcer l’apprentissage des « valeurs de la République » ? Du bourrage de crâne ? De l’endoctrinement républicain ? Excusez-moi, mais c’est déjà le cas dans les programmes. Il suffit de lire le futur « Livret Personnel de Compétences » pour s’en convaincre : on demande aux enseignants de former le citoyen républicain idéal. Vaste hypocrisie. Les libertés, c’est comme la démocratie, ça se pratique ! Nous touchons ici un problème beaucoup plus global, la pratique démocratique comme base culturelle, à l’école comme en dehors. L’école autoritaire L’école républicaine est autoritaire. Les thèmes sont imposés, l’élève n’a aucune prise sur son éducation, ne peut prendre aucune décision d’importance, individuellement ou collectivement. Ses marges d’auto-organisation sont réduites à peau de chagrin. Sa liberté d’expression ne peut se faire que dans le cadre défini par l’adulte. Il n’est pas considéré comme un adulte en devenir, un égal, mais comme un inférieur qu’il faut d’abord mâter, soumettre à son maître (ou maîtresse). Afin que, bien docile, il puisse enfin apprendre ce que l’Etat veut qu’il apprenne. Si on élargit à l’échelle de nos sociétés, on retrouve les mêmes phénomènes. Le salarié ne peut s’exprimer que dans le cadre défini, c’est-à-dire syndical : il n’a aucune prise sur sa formation ni sur la prise de décision, il est un inférieur. Une bonne école de la vie d’adulte finalement que cette école républicaine. Libres enfants de demain Ne nous leurrons pas, rien ne changera par l’éducation, tant que l’école n’aura pas radicalement changé dans son organisation et ses pratiques. Et donc rien ne changera tout cours. Aujourd’hui, l’organisation de l’école me pèse plus lourd que jamais… Créons des écoles Ferrer, des écoles libertaires, émancipatrices et collectives. Faisons exploser ce cadre autoritaire. « Il n’y a pas d’alternative », comme dirait l’autre. Julien, CNT Educ 49 *  réseau d’éducation prioritaire, regroupement d’établissements, terminologie qui remplace des ZEP, zones d’éducation prioritaires, créées en 1981

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