Annelle Ingrand in le “Catalogue des Ressources” – 1974 – éd alternatives

Ce texte écrit dans la foulée de 68 pourrait bien être toujours d’actualité. En tout cas il pourrait encore interpeler. Pas d’école ou pas d’école… dans l’école ?
– BC

” Qui n’a pas entendu parler de Freinet ? Ses livres sont archi-connus ; sa pédagogie est la nouvelle bible de nombre d’instituteurs et éducateurs.

Freinet a sans contester introduit un nouvel esprit et une nouvelle vision de l’enseignement dans l’institution scolaire. Sans cependant remettre en cause les valeurs morales qui sous-tendent l’école, il s’est rendu compte que celle-ci faisait de l’enfance un ghetto isolé de la vie sociale et s’est efforcé d’y remédier.

Il est certain que si sa pédagogie avait été tout de suite appliquée, l’école ne serait pas ce qu’elle est. Malheureusement c’est seulement au bout de 40 ans que l’école se prête à Freinet et que son nom est sur toutes les lèvres… au moment précis où le mouvement alternatif prend son essor et qu’il fait aussi peur aujourd’hui que les idées de Freinet en 1930.

L’école fait feu de tout bois et, aujourd’hui, récupérer la pédagogie Freinet c’est pour elle -l’école – une façon de durer alors même que son existence est remise en cause et que se répand le projet d’une “société déscolarisée”. Freinet c’est donc un moindre mal, une (dernière ?) bouée de sauvetage !

Que Freinet puisse être récupéré par l’école officielle, que sa pédagogie puisse être appliquée sans bouleversements, l’institution scolaire prouve qu’elle n’en est qu’une modification qui, pour honnête et lucide qu’elle soit, n’en reste pas moins de surface. La question fondamentale à l’heure actuelle n’est plus, comme à l’époque de Freinet : l’école traditionnelle ou l’école moderne, mais une école ou pas d’école. Faut-il améliorer cette institution, ce qui ne fait que la pérenniser, ou chercher autre chose.

Freinet a remarquablement analysé les aberrations de l’enseignement et il s’est efforcé de “remettre l’enfant dans la vie”. Mais c’est une démarche artificielle que celle qui consiste à recréer une vie à l’école puisque c’est l’école qui cause ce phénomène de sclérose. De même qu’on peut toujours se donner bonne conscience en “animant” des asiles de vieillards qui ne devraient pas exister du tout ou en constituant des “réserves naturelles” dans une nature qu’on continuera à polluer sans remords.

Que Freinet trouve ses partisans les plus acharnés chez les militants prouve que les mouvements politiques n’ont pas attaché suffisamment d’importance aux problèmes d’éducation et qu’ils s’en tiennent à une analyse superficielle. Car Freinet conserve, au milieu d’innovations audacieuses et à travers des idées claires et sincères, une pédagogie classiquement bourgeoise : classes d’âges avec programmes et locaux séparés, esprit de compétition (on accroche les “meilleurs” textes ou dessins libres) qui engendre une émulation individuelle.

Plutôt que d’appliquer systématiquement des méthodes, il faudrait aller plus loin dans la remise en cause des valeurs scolastiques qu’il ne l’a fait. Freinet nous permet d’avancer en ayant déblayé une bonne partie du terrain : profitons-en.” Annelle Ingrand

On peut ne pas être d’accord avec ce qu’écrivait Annelle Ingrand il y a près de quarante ans. Il y a l’aspect un peu caricatural (“sans remettre en cause les valeurs morales…classiquement bourgeoise… accrochage des meilleurs textes” ! !) qui n’est pas dans dans ce que Freinet et ses compagnons écrivaient, préconisaient et faisaient, bien qu’on puisse le retrouver parfois chez des pratiquants. Par contre Annelle Ingrand avait bien perçu l’aspect révolutionnaire du mouvement Freinet… s’il ne s’arrêtait pas !

Il pose aussi le problème de la limite des pédagogies si elles se contentent de s’inscrire dans l’Institution, cherchent à être reconnues par l’Institution, sans en faire craquer les murs. Le “pas d’école” suppose bien le “chercher autre chose” et sa mise en oeuvre .

Voilà bien des “questions de classes” ! BC