Militant pédagogique au sein du CRAP-Cahiers pédagogiques, Michel Tozzi est le promoteur d’ateliers-philo de type DVPD, plus connus sous son nom “type Tozzi”.

Je voudrais soulever une tension actuelle dans la mise en place concrète de discussions en classe et dans la Cité.

1) D’un côté l’on nous dit qu’il faut développer la discussion en classe et dans la Cité (C’est une quasi injonction ministérielle), donner la parole aux élèves et aux jeunes pour qu’ils expriment leurs idées, et que c’est une manière non pas seulement de proclamer nos valeurs républicaines, mais de faire concrètement vivre la laïcité en classe (laïcité au sens de Ricœur : confrontation réglée entre opinions différentes, et non éviter de parler de ce qui fâche, ce qui est bien peu éducatif…).

De ce côté-là, la DVDP (Discussion à Visée Démocratique et Philosophique) est un exemple particulièrement adapté, et elle est citée 5 fois dans le projet du futur cours d’enseignement moral et civique…

2) Mais d’un autre côté certains élèves, certains jeunes, quand on leur donne la parole, peuvent tenir des propos sexistes, racistes, négationnistes, voire djihadistes. Comment réagir à ces propos dans une situation éducative ?

La pente institutionnelle (Cf. la Ministre de l’EN : passer du « ne pas faire de vagues » à « ne rien laisser passer »), est actuellement de faire remonter hiérarchiquement cette dernière catégorie comme « incidents », susceptibles de sanctions disciplinaires, voire pénales pour leurs parents ou s’ils sont majeurs (voir la réaction devant le propos d’un enfant de 8 ans !).

Là est la contradiction : « Exprimez-vos idées (il s’agit bien ici d’idées, et non d’émotions ou d’injures), mais interdisez-vous d’en exprimer certaines, sinon vous serez punis ».

Et l’on compte ainsi apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes !

Des enseignants et des animateurs dans les quartiers hésitent à animer ce type de discussion : d’une part parce qu’ils manquent de formation ; mais d’autre part maintenant, dans un contexte sécuritaire, parce qu’ils vont craindre ce que les élèves ou les jeunes pourraient dire, et les ennuis qu’ils pourraient avoir s’ils les laissent s’exprimer.

Il faut penser cette contradiction et l’articuler dans une pratique. Le débat est ouvert…

Personnellement, je dis en formation qu’il n’y a pas de sujets tabous ou sensibles en philosophie, car tout peut être philosophiquement interrogé (la mort, la sexualité, la religion, les sujets politiques etc.).

Je dis aussi qu’il faut se préparer à certains sujets, et « se les sentir », surtout quand ils ne sont pas au programme…

J’ajoute surtout que l’enseignant doit accompagner la discussion dans un cadre démocratique de la parole, et avec des exigences intellectuelles de problématisation, de conceptualisation, et d’argumentation.

Je dis enfin qu’il ne doit pas donner son point de vue personnel.

Je pense que, dans une situation éducative, et pour les amener à penser, il faut partir de l’opinion des élèves, quelles qu’elles soient, et les mettre en discussion, les soumettre à la confrontation rationnelle, au lieu de leur dire « Tu n’as pas le droit de dire cela, c’est interdit par la loi ».

Qu’en pensez-vous ?

Michel Tozzi