Qu’est-ce qui rassemble des personnes dans des groupes, des lieux, des sites ? Bien souvent ce sont des luttes communes, parfois une idée à promouvoir ou un objectif commun à atteindre. Et on va brandir le collectif, le collectif transformé en personne unique, le collectif qui a UNE pensée, qui produit, affiche, publie SA pensée.

Vous êtes qui ? Je suis freinetiste, montessoriste, socialiste, CNTiste, CGTiste, … !

Et les dits collectifs s’évertuent à produire les écrits, les déclarations, qui identifieraient tout le monde et chacun. S’ils ont un gourou, c’est un peu plus simple, ils ont leur bible toute écrite à laquelle il n’y a qu’à se conformer. Pour faire partie d’un collectif, il suffit d’en être au préalable un adepte et pour y être quelqu’un d’en devenir un apparatchik ou un des prêtres, ou moins péjorativement un des représentants. En théorie, ce sont ces représentants qui vont parler au nom de… dans les médias, les doctes assemblées, laissant penser qu’ils reproduisent ou transmettent la parole qui a été produite par leur collectif. Dans l’expression des collectifs, les personnes disparaissent.

Et pourtant, dès que des personnes font quelque chose ensemble, sont quelque part ensemble, elles ont bien quelque chose de commun, de collectivement partagé, et produisent bien une intelligence collective.

L’intelligence collective ! Elle ne se programme pas comme on peut le faire d’un ordinateur qui doit produire tel ou tel résultat attendu. Elle n’est pas la production collective. Elle ne peut exister que dans l’interaction, l’interrelation de personnes s’exprimant. C’est-à-dire la communication. Ce qui peut enjoindre des personnes à échanger ce qu’elles font (vécu), essaient de faire (expérience), d’où naissent des pensées, réflexions, paroles, écrits,… ce sont bien sûr des aspirations similaires avec leurs cortèges de difficultés, de luttes similaires. L’objet relativement commun qui fait que l’on peut être ensemble et faire quelque chose, ce sont les aspirations[[1 Mettez sur un terrain de foot le FC Barcelonne et le Real Madrid, mais sans ballon. Sans un objet commun il ne pourra évidemment rien se passer. L’important ce ne sont pas les joueurs mais le ballon !]].

Notre aspiration commune c’est bien une autre société, une autre école. Mais il ne peut résulter de notre intelligence collective les plans de cette autre société et de cette autre école. Il ne peut en résulter une pensée unique qu’il ne resterait plus qu’à coucher par écrit et à adopter. Par contre, ce qui en résulte, c’est l’émergence d’un autre paradigme[[2 Je propose la définition suivante de paradigme « un système cohérent de représentations permettant une perception de la réalité et dans lequel se conçoivent, s’inscrivent et se construisent les systèmes sociaux ». Si on parle de paradigme scientifique, celui de l’approche systémique produit d’autres avancées que ne permettait pas celui de l’approche rationaliste.]].

Je suis très frappé par l’émergence actuelle d’une volonté qui s’étend pour une autre conception radicalement différente de l’école. Certes, il y a des différences notables dans la façon dont cela est décliné, ce peut être politique, contestataire, humaniste, idéaliste… Mais ce qui surgit comme commun, c’est bien un nouveau paradigme concernant les apprentissages et leur finalité et, par voie de conséquence ou par effet rétroactif, une autre vision sociétale. Pour avoir suivi depuis longtemps dans différents cercles tout ce qui s’échangeait à ce propos, j’affirme que c’est bien à partir de cette communication de personnes que les pensées et les conceptions ont évolué, je les ai vues évoluer. Une autre façon de penser (donc d’agir) est devenue commune pour un nombre qui grandit par le même processus de communication, mais chacun l’exprime et le décline à sa façon et c’est parce que chacun le fait que tout peu à peu se rapproche, se précise, se peaufine.

On peut le voir dans Q2C où il n’y a pas forcément adhésion totale et unanime à ce qui est publié, mais chaque fois on voit se modifier les apports individuels, arriver d’autres éclairages, d’autres témoignages. Il n’y a pas non plus forcément la même importance ou le même intérêt que chacun attache à un tel ou à un tel, mais c’est cette variété qui en fait une force constructive. Pour Edgar Morin, tout paradigme est un paradigme de complexité qui ne naît pas « de la tâche individuelle d’un penseur, mais de l’œuvre historique d’une convergence de pensées » auquel il faudrait ajouter une convergence d’expériences (vécus).

Pour moi, Q2C c’est d’abord un espace d’intelligence collective.

Les débats d’où l’on veut faire surgir une pensée unique, souvent des débats spectacles ou jeux de rôles dans lesquels chacun récite sa propre partition suivant son talent, n’ont jamais rien produit sinon conforter chacun dans ses propres opinions. Mais titiller la pensée d’un autre, la confronter avec sa propre pensée, l’interroger et s’interroger, chercher les faits qui l’étayent ou apporter des faits qui l’étayent, apporter des faits qui interrogent, faire des relations avec ce que d’autres ont dit ou fait… ce n’est pas débattre pour convaincre, c’est explorer ce qui finira par devenir ce nouveau paradigme sans lequel rien ne changera.

Tu as quelque chose à dire ? Tu as fait quelque chose ? Et bien publie-le donc sur le site, prends le risque : tu n’auras peut-être aucun commentaire, tu ne seras peut-être pas lu par tout le monde, tu ne seras peut-être pas compris par tout le monde, apprécié par tout le monde, peu importe, peut-être (PEUT-ETRE) quelque chose aura fait tilt quelque part, provoqué quelque chose, mais tu ne le sauras pas (est-ce important ?).

L’intelligence collective, ne se programme pas, ne se met pas dans un cadre, dans des règles. Elle est informelle. Alors que chacun y a contribué de façon personnelle, on ne peut plus attribuer le paradigme qui en résulte aux uns ou aux autres !