Comment instruire les élèves qui ne comprennent plus rien à l’école et que l’école ne comprend plus ? Au lieu de leur fournir un enseignement à leur portée, on les maintient dans des classes où ils ne progressent pas malgré les quelques palliatifs ou gadgets que l’Éducation nationale expérimente à longueur de réformes.
Cette forme de marasme offre un double avantage objectif au système. D’une part, les parents de ses élèves ne constituent pas un rapport de force contre l’école puisque leurs enfants montent de classe en classe comme les autres. D’autre part, des élèves en difficulté, maintenus dans la masse (même si parfois un redoublement les frappe), coûtent moins cher que s’ils bénéficiaient d’une scolarité avec un soutien pertinent.
Dans ce qu’on appelle l’opinion, une préoccupation égalitaire qualifiée de républicaine, redoute les pédagogies personnalisées, spécifiquement ajustées à chaque enfant qui ne réussit pas à l’école avec les méthodes tout-venant. Les oppositions sont au moins de deux ordres. D’un côté, il y a les partisans de la sévérité considérant que la meilleure des socialisations pour un jeune c’est d’être traité comme tout le monde et qu’en conséquence, sauf cas médical lourd, il doit en baver pour réussir à l’école.
D’un autre côté, on trouve les anti-profs viscéraux qui estiment que tout diagnostic sur l’échec scolaire par les enseignants pourrait se transformer en bannissement de nombreux élèves (faibles, contre performants, indésirables…) dans des dispositifs (voies de garage, classes dépotoirs). Quelques anti-profs prêtent même aux enseignants des arrières pensées, puisque le retrait de certains élèves des classes lambda serait susceptible d’améliorer les conditions de travail des profs.
La commande est simple : il faut nier l’échec et ne pas chercher à le connaître avec précision. Il y a un rejet des cursus spécifiques pour le traiter, à l’exception de procédés ressemblant à des cours particuliers. Les pédagogues innovants sont donc sommés de dispenser un enseignement conventionnel aux jeunes en échec, tout en leur proposant une pédagogie individualisée qui ne les différencie surtout pas de leurs camarades de la masse.
En attendant ce mouton à cinq pattes, à partir du collège il existe une kyrielle de dispositifs consistant à diriger les mauvais élèves (parfois à problème) vers la préparation rapide d’un métier avec en perspective une admission quasi compassionnelle en centre d’apprentissage ou Lycée dans une voie professionnelle peu renommée puisque celles qui le sont ne recrutent pas les perdants.

Gilles D’Autan