En réponse aux dérapages de Michel Onfray :

« Et si, à l’école, au lieu de la théorie du genre et de la programmation informatique , on apprenait à lire, écrire, compter, penser ? »

ou encore :

Il regrette la disparition de l’école républicaine qui apprenait :

« à lire, à écrire, à compter, à penser, ce qui n’est plus le cas […] parce que c’est une école qui a décidé qu’il était réactionnaire d’apprendre à lire, à compter, etc., et on nous dit, il faut maintenant apprendre à trier ses ordures, il faut apprendre à un éco-citoyen responsable, il faut apprendre la théorie du genre, il faut apprendre à programmateur informatique »

Difficile d’être plus caricatural ! Le site des décodeurs du Monde propose un retour sur ses propos à lire au plus vite…

L’article sur le site des Décodeurs du Monde

Quand Michel Onfray fait dans la philosophie de comptoir

Philosophe très médiatique, Michel Onfray vit avec son temps : il possède un compte Twitter, sur lequel il assène certaines de ses pensées. En début de semaine, un de ses tweets a fait beaucoup réagir. Loin de le remettre en question, M. Onfray a assumé son propos, et même surenchéri, au micro de France Inter, vendredi 12 septembre, pour dénoncer pêle-mêle Internet, le livre de Valérie Trierweiler et l’école moderne. Quitte à raconter un peu n’importe quoi.

Ce qu’il a dit :

« Et si, à l’école, au lieu de la théorie du genre et de la programmation informatique , on apprenait à lire, écrire, compter, penser ? »

M. Onfray a développé ce point sur France Inter, expliquant :

« Il est question [dans le comité interministériel] de la théorie du genre, je n’y peux rien, qui nous vient des Etats-Unis. Je suis toujours très étonné qu’on nous dise que la nature n’existe pas et que nous sommes des êtres de culture. »

Pourquoi c’est faux
1. La théorie du genre n’existe toujours pas et n’est toujours pas enseignée à l’école

L’école qui apprendrait « la théorie du genre », voilà une phrase qu’on s’attendait plus à lire sur le compte d’un militant du Printemps français que sur celui d’un philosophe.

Rappelons donc des évidences : il n’existe aucune « théorie du genre » au sens d’un corpus idéologique précis. Il existe en revanche un champ de recherches universitaires, nommé « études de genre », qui s’intéresse à la construction des identités féminine et masculine, et à la perpétuation de clichés qui font, par exemple, qu’une fille qui fait du rugby ou un garçon qui fait de la danse classique sont jugés « anormaux ».

Seconde évidence : les « études de genre », avec ses oppositions, ses débats internes et ses divergences, ne sont pas enseignées à l’école primaire. Ce que le gouvernement a cherché à faire, au travers des « ABCD de l’égalité », c’est plutôt de lutter contre le sexisme et pour l’égalité homme-femme, au travers d’exemples historiques notamment.

Les ABCD, qui avaient été expérimentés en 2013 dans quelques centaines d’école, ont en outre été abandonnés.

Enfin, nous n’avons retrouvé aucune occurrence de « théorie du genre » dans le décret instituant le comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes les hommes.

Pas plus de « théorie du genre » dans les feuilles de route dressées pour chaque ministère par ce comité. Dans celle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, on trouve la mention « études de genre », et plusieurs fois le mot « genre » dans celles adressées à d’autres ministères, comme l’évocation de la mise en place « d’indicateurs genrés » (mesure de l’égalité homme-femme, donc) ou la question des « discriminations liées au genre ». Mais toujours pas de « théorie du genre ».
2. On apprend encore à lire, écrire et compter en primaire

Pour le reste, l’école française apprend toujours aux écoliers à lire et écrire, il suffit de consulter les programmes officiels si l’on en doute. Rappelons que depuis 2011 a été mis en place le principe du « socle commun », qui vise justement à s’assurer que tout élève maîtrise un certain nombre de savoirs fondamentaux avant de quitter la scolarité.

62 % Selon les programmes officiels, on enseigne, en CP et CE1, 360 heures de français et 180 heures de mathématiques pour 864 heures de cours au total. Soit 62 % du temps d’enseignement consacré à ces deux apprentissages fondamentaux.

En CE2, CM1 et CM2, ce temps est porté à 288 heures pour le français et 180 heures pour les mathématiques, soit encore 54 % de la totalité du temps d’enseignement.

Rappelons enfin que l’initiation au code informatique en primaire a été proposé « de manière facultative et sur le temps périscolaire » par le ministre de l’éducation Benoît Hamon avant son limogeage. Bref, M. Onfray fait ici dans l’exagération totale.
3. Internet n’est pas un espace de non-droit

Ce qu’il a dit :

« Moi je défends la loi Gayssot [qui sanctionne notamment l’incitation à la haine ou l’apologie de crimes contre l’humanité]. Maintenant sur Internet cette loi ne fonctionne pas, on peut dire ce qu’on veut quand on veut, et jamais le négationnisme ne s’est aussi bien porté que depuis qu’Internet existe. »

Pourquoi c’est faux

C’est un argument qui revient, à intervalles réguliers, dans la bouche d’élus ou d’associations : Internet serait un espace de non-droit, où la loi ne s’applique pas, et où ceux qui la violent jouiraient d’une totale impunité.

Mais c’est, sur le fond comme en pratique, faux. La loi Gayssot, tout comme l’ensemble des textes régissant la diffamation, l’injure et tous les autres délits de presse, s’applique aux publications sur Internet, qu’il s’agisse d’un site d’information ou d’une page personnelle.

En pratique, M. Onfray affirme qu’« on peut dire ce qu’on veut quand on veut » sur Internet. Quantité de jugements viennent pourtant le contredire : qu’il s’agisse de commentaires sur des pages Facebook, d’un message sur Twitter ou de vidéos, les condamnations peuvent être lourdes (18 mois de prison avec sursis par exemple dans cette affaire).

Parmi les exemples cités par M. Onfray se trouvent d’ailleurs des propos tenus par Dieudonné, mais il oublie que… Dieudonné a justement été condamné pour des propos tenus dans des vidéos qu’il avait publiées en ligne.

Samuel Laurent
Journaliste au Monde

Damien Leloup
Journaliste au Monde