J’ai 73 ans. J’ai fait la rentrée. Avec mon petit-fils. En maternelle. Tout s’est bien passé, on n’a pas pleuré. D’autres pleuraient. Des enfants pleurent en arrivant à l’école le premier jour. Je les ai vus, c’est vrai.
Mais pourquoi ? On se demande : pourquoi pleurent-ils alors qu’ils ne savent même pas ce que c’est que l’école. Ils n’y sont jamais allés…
Mais ils en ont entendu causer. Par les frères, les sœurs, les parents… tu verras à l’école, fini les caprices, il faudra obéir à la maîtresse sinon tu seras puni, il faudra bien écouter, ne pas bouger tant qu’il ne t’a pas été permis de bouger, ne pas crier, ne pas chanter si ce n’est pas l’heure de chanter et il faudra bien écouter, ne pas regarder par la fenêtre les arbustes jouer avec le vent, écouter, sinon… Ils en ont entendu causer. Et ils ont pleuré.

Et puis ils se sont calmés tout de même. Ils ont fait des connaissances, des copains et des copines, certains pleuraient d’autres pas. Ils se sont dit leur nom et ils se sont bien amusés tout de même, jusqu’à “l’heure des mamans” qui sont venues les chercher en fin d’après-midi. Enfin pas toutes, celles qui ne travaillent pas, qui sont au chômage. Les autres ils restent à la garderie, ils attendent comme ils peuvent. Parfois ils se remettent à pleurer.

Ils ont trois ans. Et déjà, derrière le front une image de l’école comme lieu de brisures, de séparations et d’enfermement. Mais comment faire autrement ? N’en a-t-il pas toujours été ainsi ?

Justement, bonne raison pour ne pas continuer, pour effacer au plus vite cette représentation d’une école comme lieu de contraintes, de servitudes, de souffrances.

Bonne raison pour bâtir une autre école, un lieu où l’on va vivre à loisir, apprendre à loisir comme le suggèrent les étymologies (skolê, ludus) et comme le disent les profs idéalistes (qui ne sont pas assez nombreux), un lieu où l’on va vivre et chanter, un lieu où l’on va jouer parce qu’à trois ans vivre c’est jouer, vivre c’est courir, sauter, danser, faire de la musique et de la peinture… en liberté.

Un lieu où l’on a envie d’aller parce qu’on ne nous a pas dit qu’il faudrait être sages, qu’il faudrait obéir, ne pas crier, ne pas bouger, rester assis, ne pas gêner.

Mais au contraire un lieu où l’on a très envie d’aller parce que des adultes, parents et enseignants ensemble, nous l’ont fait visiter depuis longtemps et nous ont dit que là au moins on pourrait crier et chanter et jouer avec plein d’autres enfants et là au moins sans gêner les voisins.

Un lieu organisé par des adultes, enseignants et parents, qui n’ont d’autre obligation, d’autre programme que d’accompagner les enfants dans leur vie d’enfant, que de leur permettre de vivre leur enfance heureusement sans se préoccuper d’un avenir dont personne, même les plus savants, comme disaient les vieux stoïciens, ne sait rien.
Car ayant vécu leur enfance, non comme prédication d’un avenir prédéterminé mais comme vie en soi, comme vie n’attendant rien de l’avenir mais tout du présent, de ce présent qui advient à chaque instant, ayant ainsi vécu leur enfance, ils sauront, peut-être, vivre leur vie d’adulte (pour peu que l’on devienne adulte un jour, ce dont je doute extrêmement).

La rentrée est faite.

Il reste à changer l’école, pour qu’elle ne fasse plus peur, pour qu’elle soit, en effet, publique, ouverte, disponible.