La critique du socle commun, des compétences, ou encore de la réforme des rythmes scolaires, voit parfois réapparaître le discours du niveau scolaire. Ce texte revient sur quelques aspects que recouvre l’usage de cette notion.

Il s’agit expliquer en quoi la notion de niveau scolaire ne peut être intégrée dans une dénonciation progressiste des régressions en cours.
Tout d’abord, si “le niveau baisse”, c’est par définition même en référence à une antériorité.

C’est défendre l’idée “avant, c’était mieux”.

Une posture passéiste

Reprendre l’argument de la baisse du niveau scolaire, c’est ainsi faire référence à un passé d’autant plus mythifié qu’il est plus éloigné. Je ne peux pas détailler ici l’extrême abondance des productions écrites qui reviennent régulièrement sur ce thème, où l’on regrette l’école d’il y a dix, vingt, cinquante ans, voire plus, celle où on apprenait par cœur les départements, où les élèves réussissaient des dictées et des problèmes de robinets bien plus difficiles qu’aujourd’hui. Sans remonter trop loin dans l’historiographie de la question, on peut se rappeler par exemple les argumentaires développés dans la polémique sur la “méthode globale”, en 2006-2007.
La notion même de niveau est très relative et subjective. Refuser de l’admettre c’est refuser cette réalité qui s’impose pourtant : les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas plus nuls qu’avant, seulement ils n’apprennent plus les mêmes choses.

Niveau et contenus

Dès lors qu’on évoque les contenus, l’objection vient aussitôt : le niveau baisse parce qu’on ne travaille pas assez les savoirs fondamentaux. Les défenseurs/défenseuses du niveau soutiennent ainsi une conception hiérarchisée des savoirs, aux antipodes de la conception qu’Émancipation a toujours défendue. Ils/elles revendiquent un recentrage sur le “lire écrire compter” que la droite syndicale et politique martèle sans arrêt, vision minimaliste de la culture scolaire qu’il faut transmettre, y compris via le “socle commun de connaissances et de compétences”.
Faire de l’élévation du niveau la priorité n°1, c’est aussi faire l’impasse sur les inégalités face aux exigences scolaires. Celles et ceux qui prétendent qu’avant les “savoirs fondamentaux” étaient mieux maîtrisés oublient toujours que cela ne concernait qu’une élite.
En 1938, seulement 50 % de la classe d’âge obtenait le Certificat d’Études Primaires, où presque tout le monde se présentait, et 4 % le bac

En 1950, 5 % de la classe d’âge avait un bac, 11 % en 1960, 25 % en 1975, 62 % encore en 1995, et seulement 71 % en 2011.

Niveau et conception de l’école

Élever le niveau ce n’est pas travailler en priorité à la réussite de touTEs, à un système éducatif plus démocratique. C’est ne pas chercher à réduire les écarts, dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils s’aggravent depuis dix ans. C’est travailler pour que les meilleurEs soient encore meilleurEs, c’est fermer les yeux sur le caractère sélectif et la fonction de tri social qui a toujours été celle du système éducatif.
Affirmer qu’en “élevant le niveau” on rendrait service aux élèves des classes populaires et défavorisées, c’est au mieux une erreur, au pire une tromperie.

Affirmer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre élévation du niveau et lutte contre l’échec scolaire, c’est reprendre à son compte, sous une forme ou une autre, la bonne vieille théorie éducative libérale, qui considère qu’il faut mettre tout le monde dans le même cylindre, puisque le tri se fera “naturellement”, et qu’en travaillant pour les meilleurs, on permet toujours aux élèves moyens et faibles d’en profiter peu ou prou.
Affirmer simplement qu’il faut “élever le niveau” ne dit rien non plus sur l’avenir que l’on veut construire. N’en disant rien, il est permis de penser qu’il s’agit bien de conserver l’école et la société actuelles.

Quelles revendications alternatives ?

Faut-il pour autant renoncer à une conception exigeante de la culture scolaire à transmettre? NON !
Faut-il accepter le socle commun et les compétences ? NON !
Faut-il défendre l’école capitaliste d’avant les compétences ? NON !
Faut-il défendre la semaine de quatre jours mise en place par Darcos sous le quinquennat Sarkozy ? Pour moi c’est non ! Faut-il défendre la réforme Peillon ? NON !

Mais alors comment mobiliser contre les attaques en cours ?
On atteint là les faiblesses d’une orientation syndicale qui se limite à des mots d’ordre de retrait ou d’abrogation sans les articuler avec des revendications alternatives et offensives.
La priorité doit bien être la lutte contre l’échec scolaire et la réduction des écarts, le franchissement d’un palier supplémentaire dans la maîtrise des savoirs venant alors comme un résultat secondaire, et non comme un objectif prioritaire. Face à l’individualisation systématique, il faut opposer la dimension collective des apprentissages. Pour cela il faut bien sûr des moyens pour réduire les effectifs, mais il faut aussi une formation aux pédagogies fondées sur la coopération et le tâtonnement expérimental.
Face à la sélection, il faut opposer l’exigence d’un système éducatif réellement démocratique, donc sans orientation ni rupture avant la fin du lycée, avec pour but l’accès de touTEs à une culture scolaire émancipatrice, c’est-à-dire donnant à chacunE les moyens de s’approprier un débat, d’y intervenir, bref d’agir librement et en conscience sur le monde. C’est une autre école, c’est une autre société qu’il nous faut. C’est ce pour quoi Émancipation a toujours milité.

Raymond Jousmet – article paru dans L’Émancipation n° 10, juin 2014.