Oui, l’appel pour la présence d’une autre approche éducative dans l’école publique, accessible à tous et partout, n’est que du bon sens qui ne lèse personne et surtout pas l’école publique.

Nous entendons bien celles et ceux (essentiellement des enseignants) qui voudraient que tous les enfants et adolescents reçoivent le même enseignement de la même façon, pensant que c’est un principe d’égalité. Suivant le bord du côté où ils se trouvent ce serait une école qui tendrait à intégrer quelques principes des pédagogies modernes ou au contraire qui tendrait à accentuer ceux de la pédagogie traditionnelle, les uns et les autres y ajoutant des touches plus ou moins grandes de technologies qui ne changent rien au fond.

Lorsque nous parlons des deux approches, il s’agit bien de deux conceptions différente, voire opposées, et de l’acte éducatif (donc des apprentissages) et de l’école dans son fonctionnement et sa globalité et non pas de méthodes qui pourraient s’intégrer, se mélanger dans l’une ou dans l’autre.

L’unanimité n’est pas prête de se faire et on constate bien depuis des décennies que l’école n’arrive pas à prendre une direction et que les positions de chacun ne changent pas.

Cette école identique pour tous que certains ne veulent pas abandonner, ce n’est pas celle d’une Nation mais celle d’un Etat.

Depuis l’instauration de l’école publique, les gouvernants, quels qu’ils soient, n’ont jamais vraiment caché la finalité réelle qu’ils attribuaient à l’école en utilisant ce qui n’est que leur instrument et pas celui de la Nation : l’Etat. Ce qu’ils demandaient qu’il y soit fait, le comment ce devait être fait, a toujours été guidé non pas par l’intérêt des enfants mais par l’intérêt du type de société qu’ils défendaient. La réussite de l’école coréenne, c’est l’adaptation parfaite des adultes qui en sortent à la société de marché, de compétition qui prévaut, peu importe ce que cela implique pour les enfants et les adolescents. L’école de l’Union soviétique faisait la même chose pour un autre type d’adaptation obligatoire. Que les pouvoirs basculent dans les mains d’un pouvoir encore plus extrémiste, il n’y a aucun doute qu’il se servira lui aussi de l’école identique pour tous. Il y a pléthore d’analyses et de dénonciations de l’école d’Etat.

Les enseignants sont-ils conscients de cela ? Je n’en suis pas certain quand ils agissent au sein de l’école, je suis même certain qu’en toute bonne foi la majorité tente d’agir dans ce qu’elle pense être l’intérêt de l’enfant et pas celui de l’Etat. Mais l’uniformité des approches qu’ils demandent et qui les sécurisent les enferme bien dans les finalités de l’Etat, finalités dont la Nation n’a d’ailleurs jamais débattu.

L’école identique pour tous et imposée à tous est, actuellement, à la fois un danger puisqu’elle dépend des intentions politiques et un leurre quand on pense qu’elle évoluerait dans sa conception globale en même temps que dans son architecture.

Jusqu’à relativement récemment, la population parentale se soumettait docilement aux pratiques de l’école publique, jusqu’à penser (ou ne pas penser !) que c’était une nécessité naturelle, un bienfait qu’on lui octroyait (obligatoirement !) ainsi qu’à ses enfants, quelque chose d’immuable comme il serait immuable de se lever à 6 heures du matin pour aller se mettre à disposition d’un employeur.
Il se trouve que depuis une ou deux décennies, un nombre croissant de parents aspire à autre chose pour leurs enfants (entres autres, bien-être, épanouissement, créativité…), cet autre chose n’allant pas dans le même sens de ce qu’induit le système éducatif et les représentations qu’il sous-tend.

Ces aspirations n’ont en général rien de politiques et concernent de moins en moins une seule catégorie socioculturelle privilégiée, qui plus est mieux informée. La partie privilégiée de cette nouvelle tendance a les moyens de quitter l’école publique, et les écoles privées alternatives, type Montessori, fleurissent. Un phénomène nouveau puisque la lutte entre l’école privée, autrefois uniquement confessionnelle, et l’école publique ne peut plus concerner ces nouvelles écoles qui ne sont même pas idéologiquement concurrentielles. Il faut remarquer d’ailleurs que l’appel tendrait justement à les réintégrer dans l’enseignement public, laissant les écoles catholiques et autres dans leurs caractéristiques uniquement idéologiques, ne leur permettant plus de se targuer d’être semblables à l’école publique, donc de justifier de bénéficier des moyens de l’Etat en même temps que ceux de leurs églises.

L’autre partie de la population qui voudrait autre chose pour ses enfants mais que l’école publique gratuite ne peut leur apporter, à de plus en plus de mal à accepter son impuissance face à l’école et aux enseignants. La cause des tensions croissantes entre école et familles, rendant les relations de plus en plus conflictuelles et agressives, est en grande partie là. On la retrouve dans les deux sens. Si pendant longtemps c’était l’inacceptation des pratiques différentes qui provoquaient ces tensions dont tout le monde faisait les frais et surtout les enfants, c’est maintenant aussi le traditionnel qui fait l’objet d’un refus. L’école est de moins en moins un lieu pacifié, la tâche des enseignants eux-mêmes de plus en plus difficile à s’effectuer de manière cohérente dans des établissements cohérents dans la façon d’aborder simplement les apprentissages. Tout le monde le reconnaît, notre école crée une multitude de souffrances, pas seulement celles des enfants.

Bien sûr que nous avons depuis longtemps tous les éléments pour faire de l’école autre chose, sans même avoir d’arrières pensées idéologiques. Les Finlandais avaient aussi ces éléments, mais chez eux leur social-historique, leurs habitus de relations sociales, leur ont permis de l’entreprendre en intégrant le temps nécessaire pour que se consolide en cours de route le consensus pour arriver à un terme (20 ans). Nous n’avons pas le même social-historique, ni les mêmes habitus !

Attendre qu’une évolution consensuelle se fasse et qu’en plus une volonté politique ne l’entrave pas, c’est rêver à des temps lointains. Freinet et bien d’autres y ont rêvé. Or, pour beaucoup d’enseignants, encore plus pour beaucoup de parents et surtout pour encore plus d’enfants et d’adolescents, c’est l’immédiateté de ce qu’ils vivent qui importe. Peut-on être révolutionnaire en les ignorant, voire en les sacrifiant comme victimes collatérales, pour des raisons de stratégie politique ?

La demande de cet appel n’est qu’une demande de bon sens. Elle instaurerait un simple modus-vivendi acceptable où chacun pourrait et devrait assumer des choix. Parce qu’elle implique nécessairement, avant tout et aux uns comme aux autres, de prendre des responsabilités. Ne dit-on pas sans cesse et à tous les niveaux « soyez responsables » et n’accuse-t-on pas toujours l’irresponsabilité des autres comme source de tous les maux, surtout ceux de l’école ? En ce qui concerne cette dernière, il faudrait peut-être redonner son vrai sens à « responsabilité » qui n’est pas de fournir à l’école l’enfant-élève dont elle a besoin mais d’assumer les risques que tout choix comporte. La peur du risque, n’est-ce pas ce qui immobilise tout ?
Pour refonder l’école quand on ne sait pas quelle direction lui faire prendre, il serait bien plus raisonnable d’accepter délibérément qu’il y a deux grandes voies et de les permettre. C’est alors le temps qui peu à peu fera prendre une direction. La seule opposition explicable, c’est que certains ressentent plus ou moins consciemment que c’est bien la voie alternative qui l’emportera.

Bernard COLLOT