Dispensé l’année de terminale, l’enseignement de la philosophie peut être une expérience critique intéressante, si l’on parvient à éviter quelques écueils.

Les écueils d’une subversion de l’enseignement de philosophie

– Ne pas tenir compte de l’objectif du bac : Pour la plupart des élèves, et pour leurs parents, la première des exigences, c’est la préparation des épreuves du baccalauréat. Ne pas en tenir compte, c’est risquer de casser le contrat didactique entre les élèves et l’enseignant(e), et ainsi risquer de rompre toute possibilité de confiance pédagogique envers l’enseignant(e).

– Être obnubilé par les épreuves du bac et le traitement du programme : C’est le cas du professeur qui ne peut pas prendre du temps, par exemple une heure, pour sortir de la progression pédagogique qu’il avait prévu. En philosophie, ce n’est d’ailleurs pas tant le traitement du programme qui pose problème que la capacité des élèves à s’approprier ce qui a été vu en cours et à l’utiliser dans le cadre de leur propre réflexion. C’est sans doute ce qui explique que nombre de copies au baccalauréat soient vides de tout contenu philosophique de cours.

– Former des disciples : On n’apprend pas la philosophie, mais à philosopher répète-t-on bien souvent après Kant. Pour cela, il s’agirait de philosopher devant les élèves afin qu’ils apprennent à philosopher par eux-mêmes. Néanmoins, on peut se demander si par cette méthode on forme des esprits qui pensent par eux-mêmes ou de petits disciples qui répètent dogmatiquement les orientations de la pensée de leur maître.

– L’élève fabriqué : Ne pas oublier qu’après quinze ans passé dans le système scolaire, les élèves ont déjà été construits, en fonction de leur milieu social, par ce contact. Ils ont déjà appris en partie à être soumis à la discipline scolaire. Le paradoxe, c’est que ce sont souvent les élèves les plus rebelles à la discipline scolaire qui sont les plus soumis intellectuellement dans leur rapport aux savoirs scolaires. Les élèves ont pour l’essentiel acquis les comportements utilitaristes inculqués par le système scolaire. L’utilitarisme n’est pas imposé de l’extérieur au système scolaire, il est également produit par les règles de la compétition scolaire elle-même.

Par-delà les exigences de l’institution, quelques propositions :

– Présenter la philosophie comme un champ de controverses : Une méthode pour éviter le dogmatisme sans pour autant sombrer dans le relativisme, peut consister à présenter la philosophie comme un champ de controverses dans lequel l’élève en fonction de ses convictions justifiées est invité à choisir son camp. Cette approche permet d’éviter de se fabriquer des petits disciples.
Il est possible par exemple de présenter l’ensemble des notions du programme comme une controverse entre trois conceptions du monde : économique s’appuyant sur l’empirisme, scientifique s’appuyant sur le rationalisme matérialiste et religieuse prenant appuie sur le spiritualisme.

– Faire un cours qui repose sur la compréhension et non sur des apprentissages mécaniques: Il s’agit d’effectuer un cours qui consiste à montrer aux élèves que les connaissances philosophiques doctrinales peuvent être retrouvées en raisonnant à partir de quelques hypothèses initiales.

– Etre ouvert aux questions des élèves : Avoir toujours le temps et prendre le temps de répondre aux questions. Cela suppose justement de ne pas être pris de court par le programme, mais de le traiter de manière à paraître être en avance.

– Permettre aux élèves de proposer des sujets ou d’écrire sur des sujets qui les intéressent : Il s’agit de laisser les élèves être force de propositions sur les thèmes, les sujets traités ou rendus. Il est possible de remarquer que bien souvent cette possibilité est sous exploitée par les élèves : ce qui est une conséquence de la manière dont ils ont été construits par le système scolaire.

– Traiter le programme à partir d’un ensemble de questions que l’on juge importantes : par exemple, droit et justice (la désobéissance à la loi injuste), les échanges (la justice dans les échanges économiques), le langage (communication et manipulation), nature et culture (l’inégalité homme/femme)….

– Culture et travail : l’éducation : Profiter de la notion de culture et de travail, pour introduire une réflexion sur l’éducation et le système éducatif. Il s’agit de permettre aux élèves réfléchir sur le sens de leur présence dans le système éducatif et sur son fonctionnement.

– Bonheur et existence : Il s’agit de deux notions qui permettent également de proposer aux élèves des textes qui ouvrent l’horizon des possibles de l’existence. Il est alors possible de faire découvrir d’autres rapports à l’existence que celui qui est devenu dominant dans notre société.

– Exhorter les élèves à formuler des convictions : Une conviction n’est pas une simple opinion subjective et elle n’est pas non plus une affirmation absolue impersonnelle. Une conviction c’est une affirmation à laquelle le sujet adhère subjectivement et qu’il justifie à autrui dans l’objectif de tenter de le convaincre. On oublie un peu trop souvent que le terme « conviction » dérive de la même racine latine que convaincre. Une conviction, c’est ce dont l’on est convaincu et dont on peut tenter de convaincre d’autres personnes.