Souvenez-vous, c’était le jeudi 5 avril 2001, Jack Lang alors ministre de l’EN présentait sa réforme dite, «pour un collège républicain ». Voici 13 ans plus tard la ” réforme” Peillon. Il suffit de comparer. Rien de véritablement nouveau. La même démarche produira donc les mêmes effets : aucun quant à la lutte contre les inégalités scolaires et sociales.

Voici ce que j’écrivais ce printemps-là alors que je vivais mes derniers mois d’activité au terme de 35 années d’enseignement effectuées volontairement en ZEP (” l’école des riches, l’école des pauvres”, sous-titré “les ZEP contre la démocratie”, La Découverte et Syros, 2001.). On me pardonnera de citer ce livre qui n’est plus à vendre puisque depuis longtemps épuisé. Voici :

“Vingt ans de discrimination positive ont suffisamment mis en évidence que le “donner plus…” ne suffit pas à réduire l’inégalité, comme la pièce que l’on pose dans la main qui se tend ne suffit pas à effacer la main. Et vingt ans de discrimination positive augmentée d’une politique de “zones” ont suffisamment mis en évidence l’échec de cette politique. Car non seulement les enfants ne réussissent pas mieux, réussissent plutôt moins bien qu’ils ne le feraient dans un contexte socialement hétérogène, mais ils sont, en outre, soumis aux effets de la réclusion dans un ghetto : isolement et pauvreté culturels, stigmatisation sociale, échec scolaire qui est toujours échec humain, violence enfin, latente ou déclarée, subie ou exercée. La conséquence s’impose d’elle-même : la politique des zones d’éducation prioritaire doit être abandonnée.

L’hétérogénéité sociale dans les établissements scolaires doit constituer le premier objectif de toute politique de lutte effective contre l’inégalité. Cette hétérogénéité implique évidemment la résorption des ghettos sociaux dans les cités et les quartiers. Elle implique une mixité sociale dont on peut douter que la timide “loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain” (SRU) parvienne à la réaliser tant que les communes riches auront la possibilité d’acheter leur luxueux isolement à l’abri du regard des pauvres.

Cependant, si l’hétérogénéité sociale des établissements permet d’éviter les effets dévastateurs du ghetto, elle ne suffit pas à démocratiser l’école. Elle doit pour cela être prise en charge par l’organisation de la vie dans l’école, par la pédagogie, dont l’objet n’est pas de qualifier et d’orienter, en créant des filières pour cela, mais d’aider chaque enfant à prendre conscience de “ce qu’il lui plaît de faire”.

Cette pédagogie implique, à son tour, une nouvelle condition enseignante, un nouveau statut de l’enseignant défini à partir des exigences de l’interdisciplinarité, elle-même servie par les nouvelles technologies et assumée collectivement.

[…]

Au fond, ce nouveau projet de réforme ne met-il pas en évidence, une fois encore, que l’éducation, question politique par excellence, est trop souvent utilisée au profit de stratégies purement électorales ? […] Comment comprendre sinon ces incitations matérielles pour répondre à la question de l’instabilité des équipes enseignantes dans les zones les plus pauvres ? N’a-t-on pas assez vu depuis vingt ans que ce n’est pas seulement de stabilité qu’il est besoin dans ces zones mais d’engagement collectif ? N’a-t-on pas assez vu que l’on peut très bien ” tenir” cinq ans dans n’importe quel établissement (surtout si la mutation espérée est au bout de ” la peine”), sans participer le moins du monde à quelque action collective que ce soit ?

[…]

L’espoir n’est-il pas alors dans les militants, les volontaires de toujours, les pédagogues impénitents qui ne demandent qu’à s’engager dans la construction d’une école créatrice de talents, d’un lieu dans lequel chaque enfant puisse apprendre et, ce faisant, prendre conscience de son humanité, de « ce pourquoi il est fait” ? N’est-ce pas pitié que toutes ces énergies dispersées, dilapidées ? Ne vaudrait-il pas mieux faciliter leur regroupement et leur confier des établissements avec toutes les précautions que l’on voudra, toutes les évaluations que l’on voudra, afin qu’ils montrent concrètement que l’hétérogénéité des enfants peut être prise en charge par une pédagogie active fondée sur l’interdisciplinarité et l’engagement collectif des adultes ? Afin qu’ils montrent également que cette profession peut être vécue autrement que dans la passivité du lancinant “on n’a pas été formés pour ça”, autrement que dans l’ennui et la souffrance qui en résultent.

[…]

Ne vaudrait-il pas mieux, vraiment, mobiliser ensemble les énergies de toutes celles et ceux qui ne demandent pas mieux que de bien vivre leur profession et, ce faisant, de faire bien vivre les élèves, ce qui ne signifie rien d’autre, quand on est élève, que bien apprendre pour, un jour, prendre conscience de ce que l’on est et de ce pourquoi “on est fait” ?

La volonté politique est-elle décidément impuissante face aux pesanteurs de l’institution éducative, face à tous les conservatismes qui invoquent la République pour mieux refuser la démocratie ?

L’espoir ne peut être, comme toujours, que dans l’engagement. Il n’est d’autre alternative pour chaque enseignant, comme pour tout citoyen, que de cautionner ou de s’engager. De cautionner la pérennité des deux écoles et la marchandisation de l’éducation ou de s’engager dans la pédagogie, engagement qui n’est rien d’autre que politique, puisque l’éducation est un problème radicalement politique.”

Je crois bien ne pas avoir grand-chose à ajouter à ce qui fut écrit voici 13 ans. Ce n’est évidemment pas en attribuant quelques moments par-ci, par-là et quelques sous de plus aux enseignants que l’on provoquera l’engagement nécessaire, l’histoire des ZEP depuis leur création par Alain Savary le montre à l’évidence. Et cette histoire montre, plus encore aujourd’hui qu’il y a treize ans, que la politique des ” zones” loin de participer à une quelconque démocratisation n’a fait que pérenniser, accentuer, approfondir la ghettoïsation.

Pas grand-chose à ajouter donc, sinon que les militants de l’éducation, les militants pour une autre école existent aujourd’hui comme ils existaient hier et avant-hier quand ils parvinrent à créer des “écoles différentes” qui sont toujours là (lycées autogérés, Vitruve, Decroly…). Ils existent puisqu’ils seront plus de 200, venus de tout le pays, à participer aux ateliers, qui s’annoncent passionnants, du stage intersyndical « Subvertir les pratiques pédagogiques » qui se tiendra les 30 et 31 janvier à la Maison des syndicats de Créteil. Peut-être serait-il temps de leur accorder un peu d’attention.

Nestor Romero