Les études sociologiques mettent en lumière que la « réussite » scolaire des filles ne se traduit pas le plus souvent par une « réussite » sociale : l’ascenseur scolaire n’est pas à confondre avec l’ascenseur social.

Choix de filières , choix d’orientation…

Après avoir été en situation d’échec scolaire au collège, j’ai été durant mes années de lycée plutôt en situation de réussite. Ainsi à la fin de la seconde, on me proposa une orientation en première S. Ayant un goût affirmé pour la littérature et les sciences humaines, j’ai opté pour la filière économiques et sociales. A travers cette préférence subjective, je ne faisais pourtant qu’adhérer au choix socialement genré qui font qu’à notes égales avec les garçons, les filles s’orientent plutôt vers les filières littéraires.
De même en terminale, mes professeurs me conseillèrent de m’orienter vers une classe préparatoire. Connaissant assez mal les tenant et les aboutissants d’un tel choix, je préférais m’inscrire à l’université. Là également, il s’agissait d’une préférence socialement prévisible : en effet, il est courant que parmi les élèves qui obtiennent une mention au baccalauréat, les filles s’orientent préférentiellement vers l’université.

Classe préparatoire contre université….

Cela a été dit bien souvent que les classes préparatoires sont un système élitiste car sélectif et socialement inégalitaire. Il s’agit en outre d’un système économiquement coûteux. A l’inverse, l’Université est certes moins sélective, mais elles est aujourd’hui sous dotée en moyens. Après m’être inscrite en fac, je me suis par la suite interrogée sur la pertinence de mon choix. N’aurais-je pas eu accès à une meilleure formation générale ? N’aurais-je pas acquis de meilleure méthodes de travail si j’étais passé par la classe préparatoire ?

Aujourd’hui, à l’issu d’un parcours qui m’a conduite à être autorisée à soutenir mon habilitation à diriger des recherches, j’ai plus de recul pour avoir un avis plus clair sur la question.

Lorsque l’on me parle des capacités de travail que permettent d’atteindre les classes préparatoires, j’ai tendance à concevoir avec le recul ces dernières comme des sortes de camp d’entraînement artificiel pour enfants de la bourgeoisie.
En fin de compte, le fait d’avoir dû travailler comme salariée, tout en suivant des cours par correspondance, a fait tout autant, si ce n’est plus, pour améliorer mes capacités de travail et mon sens de l’organisation. Si d’ailleurs, il s’agit de développer des capacités de travail et d’organisation, les cours du soir ou les cours par correspondance sont une aussi bonne école que les classes préparatoires. Ainsi, lorsqu’on connaît la proportion d’étudiants qui doivent se salarier pour continuer à poursuivre des études universitaires : il est possible de supposer que ceux qui parviennent à mener les deux de front ont sans doute acquis de bonnes capacités de travail.
Néanmoins, même si la population étudiante à l’université est moins bourgeoise qu’en classe préparatoire, je me souviens pourtant avoir nettement souffert de la différence sociale. J’ai surtout au début de mes études passé beaucoup de temps à lire Bourdieu pour rendre cette situation plus supportable. Mais je n’y trouvais pas non plus totalement ce que j’y cherchais: car y collectant des éléments sur la manière dont les classes supérieures maintenaient leur capital culturel, je n’y trouvais pas suffisamment de réponses sur la manière dont les enfants des classes populaires pouvaient s’armer d’un tel capital.

A l’inverse de la classe préparatoire, j’ai l’impression d’avoir bénéficié d’une plus grande liberté dans mes lectures personnelles qui m’ont été beaucoup moins imposées par les exigences d’un concours que par mes intérêts intellectuels personnels. L’université offre en outre la possibilité de suivre des cours d’une grande diversité en auditeur libre.
De même, le fait d’avoir suivi les cours d’universitaires m’a donné l’impression d’être en phase avec les controverses scientifiques d’une science en train de se faire. Cet aspect m’a paru utile pour pouvoir développer un esprit propre à la recherche scientifique. Pierre Bourdieu a souligné avec justesse comment l’ethos du travail dans l’urgence de la classe préparatoire n’a que peu à voir avec l’ethos de la réflexion en profondeur que requiert le travail scientifique.

En définitif, mon sentiment sur la différence essentielle entre classe préparatoire et université, c’est qu’elle ne me semble pas résider dans la capacité à former l’excellence intellectuelle. La différence me semble bien plus tenir dans les conséquences sur l’accès aux positions sociales. L’avantage des classes préparatoires et grandes écoles ne tient pas tant comme on voudrait nous le faire croire dans l’excellence de leur formation, que dans le fait qu’il s’agit de sésames presque indispensables pour accéder à nombre de fonctions et de postes.