Les études actuelles sur la mobilité ascendante des enfants d’ouvriers et d’employés montre que même si elle a progressé, elle demeure faible : « Au début des années 1980, 83 % des fils d’ouvriers et employés sortis de l’école depuis 5 à 8 ans devenaient eux-mêmes ouvriers ou employés. Aujourd’hui, la proportion est de 73 %.  […] près des trois quarts des enfants des classes populaires qui demeurent dans la même position sociale, c’est tout de même beaucoup » (Camille Peugny [1]).

Rien d’étonnant à cela, ce serait plutôt le contraire dont il faudrait s’étonner. Et pour cause…

Il faut tout d’abord mettre ces éléments en lien avec la reproduction des inégalités sociales dans le système scolaire français : que ce soit en termes de maîtrise des compétences scolaires, comme vient encore de le souligner la dernière étude PISA (2012), ou d’orientation. En effet, il faut souligner le pourcentage encore relativement faible d’enfants issus des milieux populaires à l’Université et encore plus dans les filières d’élites que constituent les classes préparatoires et les grandes écoles. Or, le système d’enseignement a un poids important dans la mobilité sociale en France car l’emprise du diplôme est élevée c’est à dire conditionne l’accès aux positions sociales.

Le sociologue Jean-Yves Rochex a montré que par ailleurs la réussite scolaire des enfants issus des milieux populaires fait intervenir sur le plan subjectif une triple autorisation : devenir autre que ses parents, être différent d’eux, reconnaître la légitimité d’une histoire que pourtant l’on ne veut pas reproduire.

En outre, réussir à l’école suppose pour les enfants à la fois issus des classes populaires et immigrés, un double mouvement d’acculturation. L’enfant issu des classes populaires doit s’adapter à l’écart entre l’ethos des familles d’origine populaire et celui exigé dans le système scolaire. Il doit palier le manque de capital scolaire de sa famille comme le fait que ces derniers ne peuvent pas suivre la scolarité de l’enfant, l’absence de loisirs culturels… De surcroît lorsqu’il est issu de l’immigration, il doit subir une autre forme d’acculturation qui est celle liée à l’écart entre la culture du pays d’origine de ses parents et celle du système scolaire français.

Si l’écart entre la culture du pays d’origine et la culture française ne grandit pas durant la scolarité, il n’en va pas de même avec l’allongement des études, avec l’origine populaire. Plus ceux qui sont issus des milieux populaires poursuivent des études longues et plus ils sont confrontés à des condisciples et à des enseignants qui s’éloignent socialement de leur univers familial.

A ces difficultés, il faut ajouter d’un côté le manque de moyen financiers pour palier les difficultés scolaires par des cours particuliers quand ce n’est pas le nécessité de se salarier. De l’autre, ces élèves sont confrontés à la méconnaissance du système scolaire et de ces stratégies d’orientation qui sont bien mieux maîtrisées par les parents des classes moyennes supérieures, et plus encore quand ceux-ci sont eux-mêmes enseignants.

Or lorsque l’on observe le monde des enseignants, le plus souvent anciens « bons élèves » issus des classes moyennes, on est porté à ressentir des doutes quant à leur capacité à comprendre l’expérience des enfants d’origine populaire et immigrés en situation d’échec scolaire. On ne peut alors que s’interroger sur la place de l’ethnocentrisme de classe dans la reproduction des inégalités sociales à l’école. Cela se traduit par exemple par leur tendance à orienter à niveau de notes égales préférentiellement les élèves issus des milieux populaires dans les filières professionnelles. Tout cela n’est guère compensé par une formation des enseignants défaillante en psychologie cognitive, pour la prise en charge des troubles de l’apprentissage, ou en sociologie des classes sociales.

Enfin, si ces élèves parviennent à obtenir un diplôme leur permettant de prétendre à une ascension sociale, leur origine familiale continue de peser tout au long de leur carrière : en effet le rendement social du diplôme est inégal selon le milieu d’origine. Si l’on ajoute à cela, la tendance à la sous-orientation (filière moins prestigieuses au lycée et en post-bac) dans le cas des femmes et l’inégalité salariale dont elles sont victimes, on peut avoir une idée de l’ampleur de la reproduction de l’inégalité sociale.

Confrontés à l’inégalité des chances au départ, à l’ethnocentrisme de classe durant leur scolarité, à un univers scolaire qui leur est étranger, à un manque de capital social au sortir de leur scolarité… c’est plutôt l’existence d’une mobilité sociale ascendante des jeunes d’origine populaire qui semble tenir du miracle…Enfin pour ceux qui parviennent à une telle mobilité, il faut enfin tenir compte du coût psychologique de cette ascension.

1] [« La mobilité sociale est en panne » (2013), entretien avec Camille Peugny, sociologue, maître de conférences à l’université de Paris 8 .