Enseignante en philosophie, j’ai le triste privilège d’exercer dans une discipline où nombre de collègues considèrent avec mépris tout ce qui peut avoir trait à la pédagogie ou à la méthodologie du travail scolaire.

La critique du pédagogisme

Il est de bon temps parmi les profs de philo de critiquer le pédagogisme. Ce terme désigne la tendance des sciences de l’éducation à transformer l’enseignant en animateur chargé de transmettre des méthodes vides de contenu. Contre une telle vision, le professeur de philosophie est un spécialiste de sa discipline et la philosophie est à elle-même sa propre pédagogie. Les enseignants qui s’intéressent à la pédagogie ne feraient qu’essayer de palier leur manque de compétence disciplinaire.

Une critique bien peu réflexive

Le principal défaut pour moi de cette position est son ethnocentrisme de classe. Le groupe des professeurs de philosophie est très socialement homogène. La plupart des enseignants ont été formés dans des classes préparatoires avant de passer les concours. Ils étaient donc de bons élèves au lycée. Ils sont issus pour la plupart des classes moyennes, voire ont eu des parents exerçant des professions intellectuelles.

Pour nombre de ces enseignants le modèle indépassable reste les classes préparatoires dans lesquels ils rêvent d’enseigner. Pour apprendre à réaliser une dissertation de philosophie, il convient que l’élève induise les règles en regardant le professeur réaliser lui-même l’exercice.

Cette méthode est peut être adaptée lorsque l’on enseigne à des « héritiers » (Bourdieu). Mais il semble bien que bon nombre de ces professeurs ignorent tout des travaux de sociologie sur le rapport à l’école des élèves des milieux populaires. Les travaux de Jean-Yves Rochex et Elisabeth Bautier ont montré que plus les règles étaient implicites plus cela défavorisait les élèves issus des classes populaires. En effet, pour effectuer des interprétations justes de règles implicites, il faut posséder des codes communs permettant d’éviter les malentendus.

De même, on peut bien mépriser la méthodologie du travail scolaire lorsque l’on est issu d’un milieu familial dont l’ethos est homologue avec celui du milieu scolaire. Mais il en va tout autrement lorsqu’on est un élève issu des classes populaires pour qui l’école constitue une véritable expérience ethnologique et qui suppose un processus d’acculturation pour parvenir à s’y adapter.

Enfin, cette peur de la « forme sans contenu » paraît bien étonnante dans une discipline qui enseigne à tous ses étudiants à l’université, comme à ceux des sections de mathématiques, la logique formelle afin d’effectuer un renforcement de leurs capacités cognitives.