Assurément l’ouvrage a cet aspect austère des publications universitaires que l’on n’a pas immédiatement envie d’ouvrir. Il se cache aussi derrière l’un de ces titres transparents qui n’attirent pas l’œil… Et pourtant, Grandes controverses en éducation est l’un de ces textes qu’il faut lire pour comprendre l’école où nous travaillons mais surtout les débats qui la traversent et dont nous sommes aussi les protagonistes.

Courants et contre-courants, tel est l’objet de cette synthèse de 5 années de travail autour de la notion de controverse en éducation. Comment les débats traversent le temps, se réactualisent et s’entrecroisent. Comment en dégager les continuités, les constantes, les éternels recommencements et les subtiles mutations…

Penser et dire l’école, l’éducation, c’est finalement questionner la culture, le sens de l’histoire, le rôle de l’État. C’est réaffirmer qu’il n’est pas de pédagogie sans projet social. Le lire, le voir, c’est alors, à son tour, interroger nos propres pratiques et se demander quels en sont les ressorts, les racines et les finalités.

Il y a donc plusieurs manières de lire ce livre. En se laissant conduire par son plan : « figures emblématiques » où l’histoire des grandes querelles est convoquée (Érasme et Luther, Arendt et Dewey…), puis les antinomies pédagogiques : handicap et normalité dans le système éducatif, pédagogie traditionnelle contre pédagogies alternatives. Enfin, plonger dans les genèses et la longue durée : pédagogues contre républicains, la question de la gratuité scolaire, le voile islamique à l’école, etc.

À entrer dans cet ouvrage de cette manière, on s’ouvre à une compréhension éclairée des grands enjeux de l’éducation à travers des synthèses brillantes. Telles des « mythes », « les controverses éducatives, sans origine ni conclusion, se transmettent dans l’histoire des idées parce qu’elles interrogent, lorsqu’on les réactive périodiquement sous la pression des circonstances sociales, les structures fondamentales de l’acte éducatif. »

L’autre entrée consiste peut-être à se saisir de ces controverses, à en découvrir les ambiguïtés et les contradictions. On sort alors de l’histoire pour entrer dans une dimension plus philosophique et politique, parfois plus dérangeante aussi. Face au libre arbitre d’Érasme, Luther défend la prédestination, soit. Mais quand le premier prône une éducation élitiste, le second défend le principe d’une école si ce n’est égalitaire, du moins populaire… Face au camp des « pédagogues », les « réac-publicains » s’en réfèrent aux pères fondateurs de la Révolution française ou de la IIIe République. Sauf que justement ceux-ci prenaient leur distance avec les dogmes de la transmission…

Si, dans l’art rhétorique, la controverse est pensée comme un « processus dynamique d’élucidation et de dépassement des difficultés et des contradictions. », on voit bien combien certains de nos débats contemporains s’enlisent dans des polémiques stériles, faute de faire émerger d’autres points de vue et de penser les dépassements. À cet égard, l’intervention de Jean Houssaye sur la restauration de la pédagogie traditionnelle est exemplaire. Pourquoi restaurer ce qui existe déjà ? Comment expliquer cette schizophrénie ministérielle de rétablissement des principes d’antan quand les rapports de ses services réclament le contraire ?

« Il est plus que temps de changer, c’est-à-dire de revenir sur le changement pédagogique qui sévit depuis trop longtemps » note malicieusement Jean Houssaye. Au final, ces querelles, devenues « éternelles », contribuent, dans une certaine mesure à l’immobilisme de l’institution » conclut Alain Trouvé.

Grégory Chambat (texte de la chronique radio “lecture d’école” de l’émission des syndicats CNT éducation RP du 10 décembre)

Grandes controverses en éducation, Alain Vergnioux (ed), Peter Lang, 2013, 290 p.