Ce n’est pas un débat philo à froid, mais une réaction (presque) à chaud.

On peut dire, du point de vue de ce site par exemple, qu’il y a une indécence des grands et petits privilégiés : évasion fiscale dont des études ont dit qu’elle était supérieure à la dette publique, manifestations réactionnaires qui vont jusqu’aux débordements racistes … et, dans notre domaine, protestation des profs de prépas accompagnés de leurs élèves (présents volontairement ?) proclamant « CGPE – ZEP même combat ». Les trois exemples sont différents et par l’ampleur et par le champ auquel ils s’appliquent, mais la réaction qu’on peut avoir est identique : « ils n’ont pas honte, quand même ?! ». Au contraire, ces derniers protestent de la justesse de leur cause : 8 h de cours quand on est est censé en faire 10 et 5800 € nets en chaire supérieure, avec des élèves triés sur le volet, c’est normal, disent-ils.

La morale a mauvaise presse, et pourtant on est bien obligé de s’accorder, sinon sur des règles dont on ne voit pas bien qui les mettrait au point, du moins sur des réflexes éthiques de base, vagues et certainement à questionner, dont les éthologues nous ont persuadés qu’ils étaient même antérieurs à notre espèce. En l’occurrence, il ne s’agit pas de l’empathie « basique » des mammifères, mais ici de ce que les Anglo-saxons – et notamment Orwell – nomment la common decency , le « ça s’fait pas » des cours de récréation. ça s’ fait pas de frauder le fisc et de faire la morale aux autres, ça s’fait pas de dresser des gamins au racisme, et – d’accord, c’est moins grave mais plus proche – ça’s fait pas de pleurer quand on touche près de 6 SMIC.

On dira que cette décence commune est bien naïve, et on aura raison. Quand on est dans la formation des élites, rien de plus logique que de gagner nettement plus que les collègues, rien de plus logique également que ces classes bénéficient de moyens nettement supérieurs à ceux des lycées ou des facs ordinaires. Comme l’explique un philosophe en vogue à propos du capitalisme, cette logique est plus amorale qu’immorale. Soit.

Compensons cette naïveté par la recherche des directions que pourraient prendre une éthique à visée sociale dans nos professions. Ce serait par exemple tenir compte des inégalités sociales au concret des jours, en ayant le souci de l’alliance avec les familles populaires ; pas facile à faire, raison de plus pour s’y essayer, et nombreux le font.

Ce pourrait être aussi prendre ses distances avec ces enseignants, une chose que tous les syndicats n’ont pas faite pour rester dans une litote très dissert’ de prépa.

Et si l’on quitte la réaction morale pour aller dans une voie plus réflexive : de qui est-on le plus proche : de nos collègues de prépas ou de nos collègues ATSEM ?