L’avalanche d’articles sur l’opération de séduction du Front national en direction du milieu enseignant ne vous a certainement pas échappé. Le lancement, il y a quelques jours, du club « Racine », officine censée rallier les professeurs à la vague bleu Marine a été commenté de long en large et présenté comme une nouveauté, une étape de plus dans la dédiabolisation du FN.

C’est oublier un peu vite – mais est-ce vraiment involontaire ? – qu’entre l’extrême-droite et l’école, il existe une longue histoire.

L’école nationaliste puise ses racines, justement, dans l’émergence, tout au long du XIXe siècle du système éducatif français. Et il ne faudrait pas croire que la diffusion du savoir fut la seule motivation qui prévalu alors : « Le grand problème des sociétés modernes, écrivait le ministre Guizot dans une lettre aux directeurs d’Écoles normales en 1834, c’est le gouvernement des esprits car l’ignorance rend le peuple turbulent et féroce ; l’instruction primaire universelle sera pour lui une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale », à condition de « veiller à ne pas trop étendre l’enseignement ; [d’] insister sur l’instruction morale et religieuse, fondamentale ; [de] développer l’esprit d’ordre. »

Éducation et réaction ne sont donc pas forcément antagonistes. Et les plus réactionnaires sauront, tout au long de l’histoire batailler pour imposer leur gouvernement des esprits.

L’une des premières expériences d’école libertaire, celle menée à Cempuis par le pédagogue Paul Robin, fut ainsi brutalement interrompue à la suite d’une terrible campagne de presse orchestrée par La Libre parole de Drumont, journal anti-dreyfusard farouchement antisémite qui dénonçait la mixité (on disait alors « co-éducation des sexes »). Il obtiendra la fermeture de la « porcherie » de Cempuis. Dix ans plus tard, de l’autre côté des Pyrénées, c’est Francisco Ferrer, pédagogue anarchiste, que la réaction, non contente d’avoir fermé ses écoles, décide de fusiller…

Dans le climat d’agitation des années 30, c’est L’Action Française qui relaie quotidiennement, en une de son journal et sous la plume de Charles Maurras en personne, la campagne virulente qui aboutira à la mise à l’écart de Célestin Freinet de l’école publique. Dans le même, au sein du le Cercle Fustel de Coulanges s’élabore le programme éducatif qui servira de base à la politique de Vichy.

C’est effectivement en 1940, et avant même que les pleins pouvoirs ne soient votés au Maréchal Pétain que le nouveau régime collaborationniste entreprend l’épuration des instituteurs militants. Une épuration qui précédera celle des juifs, des communistes et des francs-maçons.

Car ce sont les instituteurs qui sont considérés comme les premiers et véritables responsables de la défaite « la France a perdu la guerre parce que les officiers de réserve [ont] eu des maîtres socialistes », ces « suppôts du pacifisme » déclare le Maréchal en juillet 1940, « les instituteurs et les politiciens, plutôt que les généraux ont mis la France à genoux », précise-t-il encore.

En moins de quatre mois, les principales contre-réformes scolaires sont promulguées : suspension des conseils et comités consultatifs (loi du 12 juillet), remplacement du recrutement par concours des inspecteurs par une nomination (loi du 2 août), rétablissement de l’enseignement congrégationniste (loi du 3 septembre), suppression des écoles normales d’instituteurs, ces « séminaires malfaisants de la démocratie » (loi du 18 septembre), exclusion des Juifs des emplois universitaires dans le cadre du statut des Juifs (loi du 3 octobre), dissolution des syndicats et associations professionnelles de fonctionnaires (loi du 15 octobre) et, enfin, introduction de l’enseignement des devoirs envers Dieu dans les programmes des écoles primaires (loi du 23 octobre). Suivront l’introduction de l’enseignement religieux comme option et la parité de subvention entre le public et le privé (loi du 6 janvier 1941), et la fin de la gratuité de l’enseignement secondaire (loi et décret du 15 août 1941).
Pour comprendre l’origine et le sens de cette politique scolaire revancharde, il faut se souvenir de l’obsession de l’extrême-droite pour les questions scolaires tout au long des années 1930. En 1934, Pétain lui-même, alors ministre de la Guerre dans le cabinet d’union nationale Doumergue, renonce à regret à cumuler son poste avec le portefeuille de l’Instruction publique. Il surveille malgré tout de très près les enseignants « ferments de désordre » qu’il soupçonne de « vouloir détruire l’État et la société ».

Il faut aussi constamment garder à l’esprit que la politique éducative sous l’Occupation est une prérogative du pouvoir pétainiste : la gestion administrative de l’école est du ressort des autorités françaises. L’occupant nazi ne s’y intéresse qu’à la marge. C’est donc bien l’idéologie et le projet vichyste qui s’expriment dans ces réformes.

La Libération ne mettra pas fin aux exactions fascistes contre les enseignants, on citera ainsi le massacre de Château-Royal, en mars 1962, à quelques heures de la signature des accords d’Évian. Un commando se rend à El-Biar, sur les hauteurs d’Alger, dans le lieu-dit « Le Château-Royal ». Max Marchand, directeur des Centres sociaux éducatifs a réuni les cadres venus de toute l’Algérie. Six inspecteurs du service , dont Mouloud Feraoun, écrivain et responsable du centre d’El Biar sont exécutés. Les « forces de l’ordre », stationnées à quelques centaines de mètres, n’ont pas bougé, les tueurs de l’OAS peuvent s’échapper tranquillement. Et n’oublions pas non plus les descentes des militants d’Assas contre le lycée autogéré de Paris…

Qu’aujourd’hui le FN s’empare de la question scolaire n’a rien de surprenant. Notons que le terrain a bien été balisé par toute une vague de pamphlets réactionnaires sur l’école et il n’est guère surprenant que l’un de ces fameux pamphlétaire, Brighelli déclare dans Le Point que « Les constats du FN, repris par le “collectif Racine”, sont à peu près tous corrects. »

Cela nous rappelle que le combat contre l’extrême-droite est aussi un combat pédagogique, celui de Paul Robin contre Drumont, de Ferrer contre l’Église et l’Armée, de Freinet contre Maurras, des instituteurs syndicalistes contre Vichy, des militants algériens des centres sociaux contre l’OAS. Ni la nostalgie de l’école nationaliste d’hier ni le retour aux vieilles recettes pédagogiques ne feront reculer la bête immonde. C’est aussi par une pédagogie émancipatrice et nos luttes collectives pour une autre société et une autre école que nous lui ferons rendre gorge.

Jean-Marie Le Pen aimait dénoncer « la racaille enseignante »… alors, comme disait la chanson, « C’est la racaille ? Et bien j’en suis ! »

Grégory Chambat, enseignant en collège, membre du comité de rédaction de la revue N’Autre école et du collectif d’animation de Questions de classe(s). Dernier ouvrage paru Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste avec Laurence Biberfeld publié aux éditions Libertalia, septembre 2013.

Ce texte est celui de la chronique radio de l’émission de la CNT éducation du 8 octobre 2013 à télécharger ici.


Pour aller plus loin sur le sujet…

L’Extrême-droite, l’école et la République, petits détours par l’histoire, Jean-Michel Barreau, Nouveaux Regards / Syllepse, 2003.

Vichy contre l’école de la République. Théoriciens et théories scolaires de la Révolution nationale, Jean-Michel Barreau, Flammarion 2001.

L’école et les tentations réactionnaires, réformes et contre-réformes dans la France d’aujourd’hui, Jean-Michel Barreau, éditions de l’Aube, 2005.

Vichy et l’école, 1940-1944, Rémy Handourtzel, Noêsis, 1997.