Avec ce billet, nous entamons une série de chroniques sur les publications de cette rentrée consacrées à la question éducative. Aujourd’hui, Je hais les pédagogues de Pascal Bouchard.

Le livre se présente comme un piège malicieux tendu au public friand de ces déplorations réactionnaires sur le « déclin de l’école » qui fleurissent à chaque rentrée scolaire. Le titre, Je hais les pédagogues, assurera à son auteur une belle place sur les étales des libraires… Les plus curieux des lecteurs, en survolant les premières pages, seront soulagés d’y voir pris à partie Dubet et Meirieu.

Cette ruse éditoriale est à l’image d’un auteur espiègle à la prose ironique. Car, s’il y a bien un objet de « haine » dans ce livre, c’est à l’encontre des Pologny, Brighelli et autres Finkelkraut qu’elle s’exprime. Cette partie est jubilatoire : l’auteur y décrypte le discours « réac-publicain », non sans renvoyer à leur chères études de latin et de grec certains d’entre eux pour leurs fantaisies étymologiques.
Dans un second temps, il prône la modération vis-à-vis du camp dit « des pédagogues », démontrant que celui-ci est bien moins homogène et influent que ce que ses adversaires se complaisent à laisser à penser…

Il n’empêche que Pascal Bouchard croit à une guerre de religion autour de la question scolaire et il en démonte les ressorts idéologiques et politiques – laissant un peu trop de côté la dimension sociale de cette querelle.

Au chapitre des propositions, on reste plus circonspect. Le salut viendrait d’une approche pragmatique, consensuelle, esquissée par la nouvelle loi de refondation de l’école et un ministre, Vincent Peillon, pour lequel l’auteur ne cache pas son admiration… La mise en place d’une structuration administrative par bassins, pilotés par des CESE (Conseils économiques, sociaux et environnementaux) est-elle à la hauteur des enjeux ? On reste même en deçà, pour un auteur qui se réclame pourtant du camp des « démocrates », d’une démocratie participative (sans parler d’une démocratie directe). Il est vrai que si, sur les questions pédagogiques, l’ouvrage fait preuve de lucidité, il reste animé par une vision politique bien peu révolutionnaire (l’auteur se veut « pragmatique »), comme en témoignent les quelques lignes de conclusion « : « Toutes les questions politiques ne peuvent être soumises à la palabre. Il appartient aux députés de voter l’impôt, et au président de décider d’une intervention militaire. Mais sur les questions de société, et l’école en une de toute évidence, notre République est bloquée, notre démocratie représentative délibère, mais sans avoir vraiment prise sur le réel ni sur les mentalités, et toute décision prend une dimension ontologique. Il est urgent d’en sortir. Ce ne sera plus tout à fait la Ve République. Qui s’en plaindra ? ». Il s’agit alors de défendre « un dialogue équilibré entre l’école et la société, sans que l’un prenne le pas sur l’autre, et sans bloquer les nécessaires adaptations aux évolutions du temps. »

Curieuse résignation sociale et politique – alors même que l’auteur dénonce l’illusion d’une défense de « l’exception scolaire » et la prétention à se placer en-dehors des enjeux sociaux. Peut-on se contenter d’une perspective à court terme qui ne viserait finalement qu’à mieux adapter l’école à une société inégalitaire en abandonnant l’ambition de changer à la fois l’école et la société ?

Je hais les pédagogues, Pascal Bouchard, éditions Fabert, 2013, 111 p., 9 €.

Prochaine chronique mercredi 11 septembre : Le Maître qui apprenait aux enfants à grandir, un parcours en pédagogie Freinet vers l’autogestion, Jean Le Gal.

Grégory Chambat, enseignant en collège, membre du comité de rédaction de la revue N’Autre école. Dernier ouvrage paru Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste avec Laurence Biberfeld publié aux éditions Libertalia, septembre 2013.