Pierre Hadot a montré dans La philosophie comme manière de vivre que la philosophie antique était, avant d’être une activité théorique, une éthique, une manière de vivre. L’histoire de la philosophie, en particulier avec la transformation du professeur de philosophie en fonctionnaire, a entériné la rupture entre l’activité philosophique et la pratique de vie. Les instructions du programme de terminale avalisent une telle vision en réduisant la philosophie à des objectifs intellectuels : « exercice réfléchi du jugement », « sens de la responsabilité intellectuelle », « conscience critique »… Néanmoins, une telle orientation est-elle inéluctable ?

De l’exercice philosophique à l’expérience de philosophie

La philosophie antique, en particulier stoïcienne, a accordé une importance fondamentale à l’ascèse entendue comme exercice. Les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle ou Le Manuel d’Epictète ont pour fonction de constituer et de proposer des exercices d’entraînement à la vertu selon les modalités de la sagesse stoïcienne. La notion de vertu n’est pas à prendre dans un sens chrétien par antinomie avec celle de péché, mais elle désigne ici une forme de rapport à soi, d’excellence personnelle, que le philosophe tente d’atteindre par l’exercice. Il s’agit d’une morale perfectionniste. L’éthique est comparable à l’exercice sportif, mais pas à un sport de compétition, plutôt à un art que l’on pratiquerait pour soi-même, comme le taï-chi-chuan (ou d’autres arts martiaux).
L’ouvrage de Roger Pol-Droit, 101 expériences de philosophie quotidienne, a l’intérêt de renouer le rapport entre philosophie et expérience pratique. Mais il ne s’agit pas ici de s’exercer, mais d’effectuer de mini-expériences qui ont une portée philosophique car elles entraînent une distanciation de notre adhérence au monde vécu quotidien.

Quelle place pour un exercice de philosophie pratique en terminale ?

Il est ainsi possible de se demander comment il pourrait être possible de réintroduire le rapport à la philosophie pratique dans l’enseignement de philosophie en terminale. Il est possible d’évoquer plusieurs pistes.

La première peut consister à demander à des élèves d’écrire un texte en rapport avec une expérience philosophique qu’ils auraient, individuellement ou collectivement, conçu et mené.

La seconde peut consister à produire une réflexion philosophique, non pas à partir de sujets philosophiques abstraits, type sujet de dissertation, mais à partir de « cas pratiques » (pour reprendre l’intitulé d’un exercice pratiqué en droit). Le stoïcisme intégrait dans son entraînement des expériences de pensées dans lesquelles l’aspirant stoïcien s’exerçait à se demander comment il devrait réagir s’il était confronté à telle ou telle situation.

Si l’on considère que l’enseignement philosophique en terminale n’a pas avant tout une portée éthique (individuelle), mais citoyenne (collective). Il devient intéressant d’insérer le travail sur un cas pratique dans une démarche de discussion et d’enquête collective à partir d’une situation-problème.

Enfin, il pourrait être possible de demander aux élèves de réaliser collectivement, un projet de philosophie pratique sur lequel ils seraient conduits à rédiger un texte. Il devrait mettre en oeuvre et expérimenter leur conception philosophique de l’action citoyenne en démocratie. Ces projets pourraient porter sur des notions telles que l’engagement, la justice et l’égalité, la liberté, la désobéissance civique…