Des amis, du groupe de l’école moderne de l’Ain, posaient récemment ces questions lors d’une animation au salon Primevère :

En tant qu’adultes, est-ce que nous accepterions

– de cohabiter six ou huit heures par jour avec d’autres adultes dans un environnement minuscule sans pouvoir bouger ni nous déplacer ?

– de ne pouvoir nous rendre aux toilettes librement sans avoir à demander la permission à un supérieur hiérarchique ?

– de passer nos temps de pause dans des cours à tout vent comme les prisonniers dans les cours de promenade ?

– de manger quotidiennement dans des espaces bruyants et violents ?

– d’être évalués, notés et classés systématiquement ?

– que nos résultats d’évaluations au sein d’une entreprise soient renseignés dans un fichier centralisé et que ces données soient conservées pendant près de 25 ans sans que nous puissions agir dessus, sans garantie d’interconnexion avec d’autres fichiers centralisés et sans garantie que ces informations ne nous portent pas préjudices pour la suite de notre vie ?

– d’être systématiquement dénigrés en cas d’erreur ou quand on ne comprendrait pas quelque chose ?

– de ne pouvoir faire quotidiennement que ce qu’un emploi du temps a prévu ? Est-ce que nous accepterions de ne pouvoir prendre aucune initiative dans notre vie ?

– de changer tous les ans d’environnement (fonctionnement, locaux, référents, collaborateurs, façon de travailler, outils…),

– de ne pas nous sentir valorisés dans notre travail, reconnus par nos pairs, nos chefs ?

– de ne pas être reconnus comme une personne à part entière, riche et singulière ?

Est-ce que nous accepterions… ?

Le problème, c’est que dans les faits, la réponse générale c’est… « Oui ! Bien obligé ! ». Elle est souvent assortie de « Il faut bien que les gosses soient préparés à ce qui les attend ! »

N’est-ce pas terrible cette normalité subie, acceptée et reproduite à l’école ?

Normalité sociale et normalité scolaire. Peut-on changer la seconde pour que la première devienne anormale ! C’est seulement lorsque l’anormalité devient évidente et consciente que les révolutions peuvent s’enclencher.

Alors, comment faire émerger l’anormalité des consciences pour qu’elle ne soit plus acceptée, au moins au niveau de l’école et des ses enfants et adolescents ? On met généralement au premier plan ou la pédagogie, ou les moyens insuffisants. Dans le premier cas on se heurte aux représentations, aux croyances, aux habitus. Dans le second on se heurte aux politiques, aux répartitions budgétaires. Ces « questions bêtes », à poser sans cesse, ne pourraient-elles pas être le déclic qui réveille ou éveille ? Sans ce déclic, a-t-on une chance de refonder l’école… et la société ?

Bernard COLLOT