De rubrique en rubrique, toutes sortes de prophéties et de prédictions sont énoncées. Ou des appels à la lutte. Comment expliquer qu’après lecture on ressente un vide ? Comment avouer qu’on reste sur sa faim, sur sa fin, la fin de la prophétie oserai-je dire. On en est toujours à se demander quand on aura le début du commencement.
Bien sûr pour faire bonne figure, en fin d’article ou au début, tout le monde et chacun parle de “l’école que nous voulons”, de ces petites bulles (sic) pédagogiques qui nous inondent de plaisir. Ou encore agite son certificat de bonne conduite anti-libérale.
Mais “l’école que nous voulons”, voilà le tube ! Pas un texte sans que cette phrase n’apparaisse. Mais de quoi cela parle au juste ? D’une école à inventer ? D’une école à vouloir ? Bientôt ? Demain ? Tout de suite ? Quand ? Vous avez essayé ? Quelque part ? Comment ? Une école vraiment ? Toute une école ?
Une école rêvée donc. Ah bon ! On se sent aussitôt rassuré : ce n’était qu’un rêve. C’est même présenté ainsi sur certains autres sites. On peut remplir les cases. En attendant… Comme à Noël. En attendant quoi ?

Alors, sommes-nous bien au début d’une prise de conscience ? Ou à la fin d’une conscience prise ? Pourquoi faudrait-il rêver l’école ? Cela ne suffit donc pas qu’elle n’existe pas. Peut-être qu’il n’y a plus rien à rêver. Peut-être qu’il faut cesser ce rêve. Peut-être que cela doit passer par la volonté de mettre fin au rêve. Parce que pour se réveiller, il faut en finir avec le rêve.
Comment expliquer que les militants en lutte manque à ce point d’imagination pour décrire un peu plus précisément ce qu’ils entendent quand ils parlent de “l’école que nous voulons” ? Est-ce un manque d’imagination ? Ou un manque de mots. N’est-ce pas simplement juste un manque de réalité ?
Ils ne savent pas quoi dire, n’ont aucune mise en scène à proposer, ne prévoient aucune répétition avant la Générale. Ils n’imaginent même pas le possible et se laissent aller au délire prophétique habituel. C’est plus simple. Et quand cela devient trop difficile, on bricole un assaut final. Une lutte, un engagement radical. Quelqu’un n’avait pas tort de stigmatiser cet étrange engouement pour la prose militaire. Leurs champs lexicaux sont truffés de fanfare, de lutte, de combat, de charges et de cavalerie légère. Et de prophéties.
Autrement dit : le sabre et le goupillon.
J’ai même lu, ici ou là, que certains représentants du personnel, ne sont guère enclins à trouver utile de soutenir les “essayeurs d’écoles”.

Comme si l’espace et le temps de notre époque s’était rétréci au point de nous trouver incapable de formuler une précision, un détail d’avenir. Une bonne raison d’y croire. Comme si nous nous trouvions devant un mur, incapables de nous inventer concrètement au milieu de nos lendemains. Qu’ils chantent ou qu’ils pleurent, d’ailleurs. Le futur a disparu. Qui a planqué le futur ?
Tout est catégorique, mais l’imprécision tient lieu de théorie.
On a envie de dire : “Chers militants, agiter les foules béates de votre audace vers l’avenir radieux à grandes enjambées prophétiques ne nous délivrent pas de l’impatience de s’y rendre. Vos formules se heurtent, comme d’habitude, au grand vide du concret. Vous n’avez pas grand chose en magasin, camarades.”

Alors d’où parlent-on, au juste, quand on nous refait le coup de la prédication pour l’école que nous voulons ?
Une autre école : n’est-ce pas forcément d’abord et surtout un autre temps et un autre espace ?
De quel temps et de quel espace allons-nous revendiquer l’usage ?
Et comment faire, de ce temps, le nôtre ? Et pourquoi pas tout de suite ?
Comment expliquer cette incroyable retenue ? Ce retard ? Ces non-lectures historiques ? Ces oublis ? Ces petits arrangements avec le système ?

Quel espace pour s’étendre ? Au propre comme au figuré. Car, figurez-vous qu’il paraît que ce monsieur Freinet, dont on parle tant dans les rubriques, avait déjà réalisé le changement d’espace. Lui et d’autres. Avant, après.
Et quel temps pour accomplir et s’accomplir ?
Faut-il faire des heures supplémentaires pour réaliser “l’école que nous voulons” ? Non-payées ? Gratuitement ? Faut-il y passer des heures, d’autres heures, des heures nouvelles dans cet espace recomposé ? Supplémentaires de vie ? Que répondre ? Eh bien oui, sans doute, puisque c’est la meilleure façon de sortir du salariat et du travail.
Car, c’est d’évidence, au-delà de cet espace et de ce temps redéfinis, et de leur extension après usage, expériences, que se pose bien sûr la question de la souveraineté que nous devons garder sur notre temps et sur notre espace ? C’est cette souveraineté personnelle et collective, qui pourra dire jusqu’où cet espace (la classe, le cours ? quelle minable ambition…) et ce temps (15, 18, 24, 26, 35 heures, et pourquoi pas plus ?) seront nécessaires.

Alors, peut-être, pourrons-nous passer de “questions de classe(s)” à “réponses d’école(s)”.