Caricaturons (à peine) la problématique des rythmes scolaires.
Vincent Peillon lance ce qu’il appelle « la réforme des rythmes ». C’est ce qui semble le plus facile, ce qui semble faire, à l’avance, consensus. C’est ce qui paraît simple, on enlève quelques minutes à la journée, on rajoute des journées, et on ne touche pas à ce qui se passe dans les heures restantes ou dans les jours ajoutés. Tout le monde devrait être content et le tour joué.
S’il y avait consensus, c’était seulement sur le « la journée scolaire est trop longue » et sur le « il n’y a pas assez de journées scolaires », le second devant compenser le premier. Autrement dit, rien ne change. C’est le traitement mathématique de l’affaire.
Mais pourquoi une demi-heure de moins pour les enfants, pourquoi pas une heure, deux heures ? Il y a déjà longtemps qu’il est dit par tous ceux qui se penchent sur les apprentissages que ceux-ci, en temps réel et dans les pédagogies traditionnelles, ne peuvent mobiliser l’attention des enfants que deux ou trois heures grand maximum. Le sacro-saint programme pourrait être torpillé en deux ou trois heures quotidiennes ! Donc, deux ou trois heures de présence pour les experts qui enseignent, puisqu’ils ne sont surtout pas des éducateurs comme le proclament certains lobbies. Mais dans la demi-heure scolaire de moins pour les enfants, il est sous-entendu que c’est aussi une demi-heure de moins de présence pour les enseignants, tout au moins je n’ai pas entendu discuter de cela. Prudence ! Evidemment, si on admettait que deux ou trois heures « d’enseignement » suffiraient, plus que « à quoi occuper les enfants le reste du temps ? » se poserait « à quoi occuper les enseignants le reste du temps ? » ! Allez ! Un compromis : une petite demi-heure quotidienne de moins, une petite demi-journée hebdomadaire de plus ! Oui mais les enseignants tiennent beaucoup plus à leur demi-journée vaquée qu’à la demi-heure quotidienne en moins. Le consensus vole en éclat.
En raccourcissant la journée scolaire des enfants… et des enseignants, il faut allonger celle de ce qu’on appelle le périscolaire et de ceux qui l’animent… et le coût pour ceux qui les paient ! Le consensus vole encore en éclat ! Compromis : on repousse d’un an. Qu’est-ce qui aura changé dans un an ?
Et puis il y a ceux qui sont dans une conception un peu différente de la pédagogie et de leur rôle d’enseignant. Soutenir, ne pas soutenir cette « réforme » ? Normalement, ils ne le devraient pas, tout au moins ils devraient s’en désintéresser puisqu’elle ne changera rien. C’est difficile parce qu’on se dit toujours que c’est une occasion dont il faudrait profiter, il faut donc participer à des compromis qui ne vont pas dans le sens du changement que l’on recherche, et on rentre alors dans la compromission.
C’est l’impasse pour tout le monde.
« La politique, c’est l’art du compromis ». Le plus bel exemple est ce qu’on appelle « la sociale démocratie » qui devrait s’appeler en réalité « le social capitalisme ». Un compromis qui n’a jamais résolu les problèmes de ceux pour qui il est soi disant fait, au contraire, il ne fait que les accentuer. Mais on continue de rechercher dans tous les domaines des compromis que l’on a de plus en plus de mal à concocter et à faire fonctionner. L’école n’est qu’un cas particulier. Le compromis est ce qui permet de ne pas s’atteler au fondement.
Dans notre affaire des rythmes, commencent à s’élever des voix de plus en plus nombreuses et de plus en plus variées qui s’interrogent sur ce que les enfants font, peuvent faire, devraient faire, avec qui le faire, pourquoi le faire,… pendant le temps où ils sont à l’école. Et c’est bien là que le bât blesse. Il n’y a pas de consensus, ce qui veut dire qu’il faudrait trouver un consensus.
« Un consensus est un accord général (tacite ou manifeste) parmi les membres d’un groupe, pouvant permettre de prendre une décision » (Wiki). Un compromis se négocie (avec gagnants et perdants), c’est le mélange du blanc et du noir qui donne du gris. Un consensus se construit. C’est le bleu et le jaune qui interagissent et d’où émerge le vert. L’émergence : « Des systèmes simples interagissent en nombre suffisant pour faire apparaître un certain niveau de complexité qu’il était difficile de prévoir par l’analyse de ces systèmes pris séparément. » (Wiki). Mais nous ne savons pas rechercher le consensus. Nous n’osons pas. La recherche du consensus paraît devoir être une confrontation, un rapport de forces, un conflit, une conciliation impossible de certitudes opposées, in fine la victoire d’une majorité. Or, ce n’est pas du tout cela.
Si la recherche d’un consensus demande bien à chacun d’exprimer ses constats, les conséquences et les idées qu’il en tire, si elle demande à chacun d’écouter les constats différents des autres et ce qu’ils en retirent, il s’agit surtout d’explorer ces constats au-delà de la partie émergée de l’iceberg, de chercher ce qui lie des constats différents ou des problèmes apparemment distincts. Il s’agit de remonter au-delà des a priori de chacun, de remonter dans les observations, pensées et réflexions jusqu’au moment où tous se rencontrent sur un point commun. Alors seulement le chemin inverse peut s’entreprendre dans la recherche d’un consensus sur ce qu’il y a à mettre en œuvre. Chaque a priori, chaque certitude est à remettre en question. A une question posée il y a toujours une question non posée en amont. Prenons par exemple la notion de programmes à laquelle les rythmes, l’évaluation sont nécessairement liés. Un a priori quasi partagé : il faut des programmes. Pourquoi ? Les enseignants diront pour savoir ce qu’ils doivent enseigner, ce qu’ils doivent faire. D’autres pour que l’ensemble de la population scolaire bénéficie du même enseignement : l’égalité. Les éditeurs pour savoir ce qu’ils doivent mettre dans les manuels. D’autre comme Meirieu parce que les programmes sont le garant de l’exigence de qualité. Très bien. Et depuis des décennies on rajoute, on enlève, on rédige autrement,… sans satisfaire personne, sans réduire les inégalités scolaires, et surtout cela n’améliore en rien l’efficience du système éducatif (constat). L’a priori devrait donc paraître erroné.
Il faudrait donc poser en amont la question de la finalité de l’école, de cet espace où les enfants et adolescents sont, pour l’instant, condamnés à passer la partie la plus importante de leur vie où ils se construisent. Il n’y a pas encore de consensus à ce propos.
« Plus d’élèves qui sortent du système éducatif sans qualification (ou sans diplômes) » ? On retrouve cela dans toutes les déclarations des ministres successifs. Pourquoi pas ! Ce qui veut dire que les enfants et adolescents trouvent tous un travail à la sortie du système éducatif. L’école alimentant la machine économique. Plus personne ne peut y croire. C’est aussi le vieux mythe de l’école promotion sociale. Manifestement il ne marche plus et il n’a fait qu’aboutir à ce que Bourdieu et Bachelot appelaient la reproduction. Mais peut-être est-ce pour certains ce à quoi le système éducatif doit aboutir. Le programme est alors nécessaire (n’oublions pas qu’il est issu du ratio studorium des Jésuites dont l’objectif était de « fabriquer » et de sélectionner une élite.)
« Permettre aux élèves de s’insérer, de trouver une place dans la société » ? Pourquoi pas ! Mais cette société fait de moins en moins envie. Elle exige de plus en plus la soumission, l’acceptation. Le programme est alors encore nécessaire dans la fonction de s’y soumettre. Les enseignants peuvent le faire, beaucoup moins les enfants quelle que soit leur bonne volonté.
« L’école émancipatrice » ? Pourquoi pas ! Mais s’émanciper de quoi ? Tout le monde n’a pas la même conception de l’émancipation qui peut être « pour une révolution future » pour les uns (révolution qu’ils n’ont pu faire), pour échapper aux influences familiales ou religieuses pour les autres, etc.
Alors posons la question jamais posée « s’il n’y avait plus d’école ? ». Le consensus est immédiatement obtenu : impossible dans notre société ! Que feraient les enfants dans des villages, quartiers, cités, livrés à eux-mêmes quand les parents sont au boulot ? Comment acquerraient-ils les langages aujourd’hui indispensables pour comprendre et vivre dans notre monde (langage écrit, langage mathématique, langage scientifique…) ? Comment pourraient-ils devenir peu à peu autonomes et ne plus dépendre de leur famille ? Comment devraient-ils vivre, pourraient continuer de vivre sans un espace-temps socialisant hors de leur famille ?
Cette fois nous sommes peut-être arrivés à remonter jusqu’à un consensus, celui de la finalité simple de l’école ! Et le consensus nécessite alors de se poser de nouvelles questions : qu’est-ce que c’est lire-écrire ? Qu’est-ce que c’est mathématiser, scientifiser ? Qu’est-ce que c’est se socialiser ? Ce qui nous fait aussi remonter à une autre question : celle du « comment les enfants apprennent ? » avant celle de « qu’est-ce qu’ils doivent apprendre ? ». Le consensus sur ce point était autrefois difficile à obtenir. Aujourd’hui nous disposons d’éléments qui permettent de ne plus s’arc-bouter et de s’opposer sur des opinions (les travaux des neurobiologistes, des cognitivistes, les pratiques des mouvements pédagogiques, etc.). Nous commençons à savoir quelles sont les conditions qui permettent l’engagement dans des apprentissages comme celles qui permettent la socialisation. Dans l’obtention d’un consensus, il y a la prise en compte de tout ce qui constitue une problématique. On ne peut faire autrement qu’en faire une analyse systémique. Les propositions, les dispositifs, les actions qui en résultent n’ont aucun sens prises isolément.
Ce n’est qu’à partir du point de consensus que l’on peut alors faire le chemin inverse et concevoir ce qui permettrait d’aboutir à la finalité définie (l’autonomie d’un adulte dans les entités sociales qui font une société). Les problèmes de programmes, d’évaluations, de rythmes ne se posent plus de la même façon. C’est une nouvelle problématique. Chaque fois on peut se défaire des vieilles représentations qui nous embarrassent en se posant les questions « Et si les programmes n’existaient plus ? », « et si l’évaluation n’existait plus ? », « et si le découpage du temps n’existaient plus », « et si le découpage des âges n’existait plus ? », « et si les diplômes n’existaient plus ? », etc. Sont-ils nécessaires pour atteindre la finalité définie ou sont-ils des obstacles ? Une finalité simple et consensuelle attribuée à ce qui devient un espace-temps particulier permet d’envisager autrement ce qui faisait jusqu’à maintenant les piliers d’un système éducatif.
Contrairement aux compromis, le consensus demande du temps. Il n’est jamais immédiat. Il n’élimine pas les incertitudes, celles-ci font partie de la problématique. Il se construit dans un tâtonnement expérimental social collectif (et même un tâtonnement intellectuel !). Il nécessite la substitution d’autres représentations à celles dans lesquelles on est enfermé. Les décisions qui en résultent (l’objet du consensus est de pouvoir prendre des décisions dans lesquelles chacun s’implique) nécessitent des paliers, des aménagements provisoires si l’on sait qu’elles sont provisoires et que problématique et finalité ne sont pas oubliées. Chaque fois que l’on modifie un contexte, les problèmes précédents ne sont plus les mêmes, mais il s’en pose d’autres. Par exemple si on pose dans le contexte actuel la question de la liberté pédagogique aux enseignants, il y a consensus. Chacun peut agir suivant ses certitudes. Si on pose aux parents la question de la liberté du choix de l’école et de sa pédagogie, il y a aussi consensus tout aussi légitime que le premier… mais sa prise en compte est impossible (obligation et carte scolaire) ! Les certitudes qui s’opposent ne traduisent finalement que la certitude d’incertitudes ! Si les incertitudes qui persistent sont acceptées (consensus sur les incertitudes et non plus sur les certitudes), le système éducatif se modifie provisoirement pour permettre que dans chaque territoire scolaire les deux grandes approches pédagogiques soient présentes. On change le contexte jusqu’à ce qu’un nouveau consensus se fasse jour.
C’est de toute cette recherche impliquant tout le monde dont aucune refondation ne peut faire l’impasse. C’est pourtant l’impasse qui a été faite… et l’impasse dans laquelle la refondation se trouve.
Bernard COLLOT
Sur toutes ces questions, le tome 2 des chroniques d’une école du 3ème type “Ecole et société”